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En fouillant un peu plus dans son intimité, les gendarmes vont découvrir l’envers d’un rapport de force, vénéneux et toxique, que Béatrice Bowe entretenait avec sa future belle-fille, Aline Arth.
La guerre a été déclarée depuis que cette jolie coiffeuse de trente-cinq ans est entrée dans la vie de Jean, le fils unique et adoré de Béatrice, une relation que la vieille dame a vécu comme une terrible trahison. Elle qui depuis toujours considérait son fils comme son bien propre, son seul et véritable amour, le seul en mesure de la comprendre, aucune autre femme n’avait le droit de le lui prendre et surtout pas Aline !
La rivalité, la jalousie, le ressentiment sont-ils des mobiles suffisants pour un commettre un crime d’une telle ampleur, d’une telle cruauté, d’une telle barbarie ? Sinon, qui se cache réellement derrière le meurtre de « Mamie foot » ?
C’est ce que je vous invite à découvrir avec moi à travers notre affaire criminelle d’aujourd’hui qui nous a été proposé par Denis Kay.
Nous sommes l’après-midi du 6 avril 2017 à Durrenbach, petite commune située au sud de la ville de Strasbourg. Durrenbach ressemble à tous ces charmants villages alsaciens où il fait bon vivre et où règne une véritable solidarité entre familles et voisins, comme dans les temps passés.
Si on quitte l’animation du centre du village et qu’on se dirige à peu vers la sortie, on découvre une jolie maison en briques rouges, sans vis-à-vis et protégée par un grand sapin. Le point le plus important de cette maison est qu’elle surplombe deux terrains de football.
— Regarde Yannick, le chien est lâché dehors ! Béatrice a sûrement oublié de le faire rentrer !
C’est en passant par hasard en voiture devant la maison de leur cousine que Yannick Schuller et son épouse aperçoivent le labrador de cette dernière en train de traîner tout seul dehors, sans laisse. Ils le prennent à bord et partent sonner à la maison en briques rouges. Ils s’étonnent de trouver la porte d’entrée entrebâillée et l’alarme incendie déclenchée : la maison serait-elle en train de brûler de l’intérieur ?
— BÉatrice ! OÙ es-tu ? BÉatrice ? Tu m’entends ?
Pas de réponse. Très inquiet, Le couple décide de prévenir les pompiers qui arrivent sur les lieux quelques instants plus tard.
Dehors, les Schuller guettent le moindre signe de la part des pompiers. Mais où est donc passée Béatrice ? Ils essayent de la joindre sur son portable mais n’ont pas de réponse.
Une demi-heure plus tard, les pompiers finissent par sortir avec un corps, un corps recroquevillé et entièrement carbonisé qu’ils déposent sur la pelouse du jardin. Élodie s’approche, ouvre de grands effarés puis pousse un cri d’épouvante :
— Mais c’est Béatrice ! Oh mon dieu ! C’est elle !
Béatrice Bowe n’est pas une inconnue à Durrenbach, elle fait presque partie du patrimoine de la commune, notamment grâce à son implication et l’amour qu’elle voue au club de football du village. Étant elle-même une très grande fan du ballon rond, tout le monde la surnomme affectueusement « Mamie foot ».
Élodie et Yannick sont plongés dans un état de choc, jamais ils n’auraient cru que leur parente finirait un jour dans un état aussi épouvantable, carbonisée et certainement morte asphyxiée par la fumée, prise au piège derrière les murs de sa maison, incapable d’appeler au secours.
Pour les pompiers, cela ressemble à un accident domestique, une bombonne de gaz qui a explosé ou un court-circuit. Mais en observant le corps de Béatrice Bowe, tout porte à croire qu’elle est morte dans d’atroces souffrances : son corps est raide et figé, son visage est très rouge, son cou et ses vêtements sont imbibés de sang.
En début de soirée, la section scientifique de la gendarmerie est appelée en renfort et elle fait de nouvelles découvertes : des morceaux de journaux calcinés et éparpillés un peu partout dans la maison de Madame Bowe, dans la cuisine, sous les escaliers, devant la porte d’entrée. L’incendie est quant à lui localisé autour du cadavre de la défunte, car l’empreinte de son corps est restée sur le sol de la porte d’entrée.
Les gendarmes finissent par écarter l’accident domestique car tout porte à croire à présent que Béatrice Bowe a été attaquée et tuée, l’incendie n’étant qu’une manière de tout camoufler. Elle est morte bien avant et son corps a été brûlé bien après.
L’annonce du décès de la sexagénaire bouleverse profondément les habitants de Durrenbach, un meurtre particulièrement barbare qui inquiète au plus haut point les villageois. Mais alors, que s’est-il passé dans cette maison pourtant si tranquille ?!
À l’hôpital de Strasbourg, l’autopsie de Béatrice Bowe démontre bien d’autres choses encore. La retraitée est morte dans d’horribles souffrances, elle a été poignardée trente-six fois au niveau de la poitrine et de la gorge, ses vêtements sont imbibés de sang, ses bras et ses mains sont pleins d’ecchymoses, signes qu’elle s’est battue contre son meurtrier.
Contrairement à ce que les cousins de Béatrice et les pompiers pensaient, son visage n’a pas été brûlé mais plutôt atrocement mutilé, un vrai carnage : le sommet de son crâne a été littéralement scalpé et la peau du cuir chevelu a été entièrement arrachée. Quant à son visage, c’est une tout autre histoire : le tueur a enlevé les nerfs et toute la partie supérieure du faciès, qui d’ailleurs ne sera jamais retrouvée.
Selon les annales médico-légales françaises, jamais auparavant dans l’histoire judiciaire un cadavre n’a été retrouvé dans un état aussi horrifiant et aussi sauvagement mutilé.
Selon le légiste, le tueur était déterminé à vouloir tuer d’abord la vieille dame avant de mettre le feu à la maison, l’incendie est d’ailleurs intervenu bien après son décès.
Grâce à ces informations, le parquet de Strasbourg décide d’ouvrir une information judiciaire pour meurtre.
Béatrice Bowe qui était veuve et mère d’un fils unique, Jean, n’avait pour autres proches que quelques cousins vivant aussi à Durrenbach et dans les environs. Quand ils apprennent les véritables circonstances de son décès, ils sont complétement anéantis.
L’assassinat violent et horrifiant de « Mamie foot » choque l’ensemble de l’Alsace où jamais de mémoire commune un crime de cette envergure n’a été commis.
À Durrenbach où elle a toujours vécu avec son mari et leur fils, personne ne lui connaissait d’ennemis. Au contraire, c’était une figure locale haute en couleurs et ce bien qu’elle n’ait pas souvent la langue dans sa poche et qu’elle ne se gênait jamais pour dire le fond de sa pensée. Ce caractère coriace et bien trempé, à défaut de fâcher, faisait bien plus sourire qu’autre chose.
Mais surtout, surtout, Béatrice Bowe était une fan absolue du ballon rond, le sport local. Son rôle de supportrice passionnée lui avait valu d’ailleurs toute sa notoriété dans la région, elle n’aurait raté un match pour rien au monde ! Toujours la première dans les gradins, sifflant et houspillant les traînards dans son patois alsacien aux résonnances allemandes, s’octroyant le rôle et de l’arbitre et de l’entraîneur, même si elle n’était ni l’un ni l’autre.
Et cette histoire au dénouement si cruel a commencé justement sur les terrains de Durrenbach.
Depuis sa création en 1921, Le club local « F.C. Durrenbach » est devenu au fil du temps une véritable institution dans la région, la colonne vertébrale de la commune, le seul lieu capable de réunir tous les habitants qui ont pris l’habitude d’y aller chaque week-end, comme on irait visiter un vieux membre de la famille.
Au club, tout le monde connaît Béatrice Bowe, l’un des membres les plus actifs et permanents, celle qui s’est appropriée les lieux et en prend soin comme de sa propre maison. D’apparence, c’est une petite femme dans la soixantaine, mince, agile et nerveuse, les cheveux courts et roux, s’agitant dans tous les sens et surveillant de près le travail de tout le monde.
Au sein du club, Béatrice Bowe s’occupe de tout, depuis l’entretien des vestiaires, la collecte des cotisations jusqu’aux calendriers des matchs, des courses pour la buvette de la cafétéria et de la logistique. Elle est partout et sur tous les fronts.
La proximité de sa maison, qui donne directement sur les deux terrains du club, lui facilite davantage la tâche puisqu’elle a peu de déplacement. Quand elle ne s’en prend pas aux joueurs de l’équipe de Durrenbach, elle reporte toute son attention sur les jeunes qui traînent sur les pelouses sans autorisation. Sa fenêtre est d’ailleurs un poste d’observation de choix qui lui permet d’avoir une vue d’ensemble pour espionner tout ce qui se passe.
« Béatrice avait tendance à considérer le terrain de football comme le sien. Si on la cherchait, on la trouvait, c’était une femme très directe, au verbe haut, très téméraire et qui n’avait peur de personne malgré sa petite stature. Sa présence faisait un peu partie du décor. » raconte un ancien ami.
Ce fameux caractère justement, ce caractère très « rentre dedans », beaucoup en font quotidiennement les frais, à commencer par son propre fils, Jean Bowe.
Pourtant, Béatrice adore son fils, ils ont une relation fusionnelle et il est toujours aux petits soins avec elle. Mais Jean n’est plus vraiment un petit garçon, c’est un homme adulte de vingt-neuf ans et c’est là que la plus étrange partie de l’histoire intervient.
Béatrice et Jean vivent ensemble dans la jolie maison familiale de deux étages, construite en briques rouges et entourée d’un grand jardin.
Ancienne secrétaire à la retraite, veuve depuis quelques années déjà, Béatrice compte couler le temps qui lui reste entre son ménage, ses courses, le club de foot et la compagnie omniprésente de son fils.
Jean est quant à lui jardinier-paysagiste, il travaille à Strasbourg pour le compte d’une société de réaménagement et s’occupe le week-end des pelouses des deux terrains du club de football. Tout comme sa mère, Jean Bowe est un féru du ballon rond et cette passion les unit davantage encore. Il occupe d’ailleurs le poste de gardien de but dans l’équipe 2.
Avec sa mère, Jean Bowe pourrait être défini comme « un bon fils » un peu à l’ancienne, proche d’elle, attentif à ses besoins, obéissant et ne la contredisant jamais. S’il y a confrontation, c’est toujours Béatrice qui a le dernier mot. En somme, c’est elle qui porte la culotte et cela a toujours été le cas ; hors de question que cela change.
Le week-end, les habitants de Durrenbach ont pris l’habitude de voir mère et fils passer en voiture pour aller faire leurs courses ou aller déjeuner dans un restaurant à Strasbourg.
Béatrice est aux petits soins pour son fils : à son retour du travail, il trouve toujours une table bien dressée, son linge est toujours propre et repassé. Elle a pris la bonne (ou la mauvaise) habitude de devancer le moindre de ses besoins avant qu’il ne les exprime. Lui, de son côté, la laisse faire, aimant certainement être chouchouté et materné en permanence.
Jean est décrit comme assez « tête en l’air », un peu rêveur, un peu immature voire un peu mou et facile à manipuler. Il éprouve ce besoin d’être continuellement orienté et guidé et sa mère excelle très bien dans ce rôle. Il ne prend jamais de décision sans la consulter auparavant et quand je dis décision, c’est TOUTES les décisions, les importantes comme les plus futiles : acheter une nouvelle voiture, acheter tel vêtement ou telle paire de chaussures nécessite en premier lieu l’approbation de maman.
Pour la mère et le fils, cette routine est devenue rassurante et presque vitale au fil du temps. Rien ni personne ne serait en mesure de rompre cet équilibre, rien ne devrait jamais bouleverser cette vie bien douillette et bien tranquille.……..
— Vous êtes Madame Arth ?
— Oui, c’est bien moi.
— Vous aurez un peu de temps pour répondre à quelques questions ?
— Oui, bien sûr. C’est à quel propos ?
— Du meurtre de votre belle-mère, Madame Bowe.
— Non, mais que dites-vous là ? Non ce n’est pas possible, je l’ai vu à peine ce matin !
C’est dans les vestiaires du club de foot que deux gendarmes sont venus interroger Aline Arth. Visiblement très bouleversée par la nouvelle, la jeune femme blonde met du temps à retrouver ses esprits avant de faire le récit des choses inhabituelles qu’elle a vues ce matin. Les gendarmes ne demandent qu’à l’écouter.
Vers le coup de 8 h 30, alors qu’elle venait d’arriver au club, Aline Arth dit avoir entendu le claquement de portières de voiture. Quand elle est sortie, elle s’est retrouvée nez à nez avec un couple de gitans, ces derniers lui ont demandé si elle avait du travail à leur proposer. N’osant pas les faire entrer à l’intérieur des locaux, elle les a envoyés s’enquérir auprès de la mairie, mais au lieu de cela, ils ont pris la direction de la maison de Béatrice Bowe.
Alors, elle les a devancés en arrivant la première chez la vieille dame. Là, elle lui a recommandé de n’ouvrir à personne car des gens peu recommandables étaient en train de traîner dans les parages. Ensuite, elle raconte qu’elles se sont assises dans la cuisine, que Béatrice a fait du café, qu’elles ont discuté de tout et de rien avant de finalement orienter le sujet sur l’organisation de la prochaine fête d’anniversaire de Jean. Après cela, elle est repartie terminer le travail interrompu au club.
Le témoignage d’Aline Arth est pris très au sérieux par les gendarmes, d’autant plus qu’elle livre force détails sur les deux suspects. Elle relate les faits avec une exactitude déconcertante, fait une description très pointue, très précise, où rien n’est laissé au hasard sur leur véhicule, sur la couleur et la matière de leurs vêtements, sur leur aspect physique. Elle va jusqu’à fournir le numéro d’immatriculation de la caravane que l’homme conduisait.
Forts de ce témoignage, les enquêteurs croient détenir un début de piste. Leurs investigations commencent auprès des familles des gens du voyage autour de la commune de Durrenbach et de ses environs. Mais ils ne trouvent personne ressemblant à la description donnée par Aline.
Du côté des villageois, autre point d’interrogation, le jour de la mort de Béatrice Bowe, personne n’a vu passer la fameuse caravane blanche avec des gens à son bord.
Un doute commence à s’immiscer dans l’esprit des enquêteurs : pourquoi ce couple de gitans aurait-il cherché à faire autant de mal à Béatrice Bowe ? Pourquoi une telle cruauté, un tel acharnement, les trente-six coups de couteau au niveau de la poitrine, la maison partie en fumée, le cuir chevelu arraché ? Pourquoi ?
Pour en avoir le cœur net, ils décident de faire un détour jusqu’à la maison de la victime, histoire de constater si des objets ont disparu.
La maison ne semble pas avoir été cambriolée. Les enquêteurs vont même jusqu’à retrouver des bijoux, de l’argent en liquide (à peu près 800 euros) cachés dans l’une des armoires. Du reste, tous les biens matériels sont là et n’ont pas bougés. À part les dégâts causés par le feu, tout semble dans l’ordre, rien n’a été ouvert ni n’a bougé de sa place.
Pour les gendarmes, le meurtre de Madame Bowe ne ressemble pas à un crime de rôdeur classique venu par hasard pour voler des biens. Un cambrioleur même amateur n’irait pas jusqu’à larder une femme âgée de trente-six coups de couteau pour lui soutirer quelques centaines d’euros et une poignée de bijoux. Cela semble incohérent et insensé.
Visiblement, le scénario donné par Aline Arth ne semble pas correspondre et n’est finalement pas crédible. Il va falloir la réinterroger….
— Ça vous fera soixante euros s’il vous plaît. Voilà, merci. Bonne journée !
Aline Arth adore son métier de coiffeuse et s’y adonne corps et âme, elle aime que ses clientes ressortent de son salon le sourire aux lèvres. Bien sûr, il y a parfois les difficiles, les pointilleuses, les jamais satisfaites, les gratteuses (celles qui marchandent pour un brushing) mais celles-ci ne constituent qu’une minorité, encore heureux !
Aline aime à se définir comme une « psychologue du cheveu » ou comment redonner confiance à une femme qui n’aime plus le reflet que lui renvoie son miroir, à l’aide de coups de ciseaux bien distribués ou d’un balayage !
Âgée de trente-cinq ans, grande blonde aux yeux bleus électrique, toujours souriante et coquette, Aline est ce qu’on peut définir une femme forte de ses atouts. Déjà mère de deux enfants en bas âge, elle aime prendre soin de son aspect extérieur d’autant plus qu’elle a un salon de beauté ; la moindre des choses est de se présenter sous son meilleur jour devant les clientes.
Cela fait quelque temps qu’elle s’est installée à Durrenbach, auparavant elle vivait à Strasbourg. Victime d’un homme violent, elle a fini par demander le divorce, prendre ses enfants et s’éloigner un maximum pour oublier. À Durrenbach, elle a repris l’affaire d’une coiffeuse et a commencé rapidement à travailler, remarquant au passage que les gens de province ont tendance à être plus proches, moins égocentriques et plus bienveillants.
Elle a été étonnée le premier jour où une cliente, qui ne la connaissait pas encore, a commencé systématiquement à lui poser tout un tas de questions sur les raisons de son déménagement, si elle était mariée ou célibataire, si elle comptait s’installer à long terme et fonder une nouvelle famille ici…
Depuis, Aline a adopté les mœurs du cru, prenant elle aussi du plaisir à rapporter les « potins », osant regarder les gens dans les yeux et leur dire le fond de sa pensée avec cette manière très directe et très typique des gens de la campagne alsacienne, sans chichis et sans manières.
Aline Arth comprend aussi rapidement que toute la vie sociale de la commune se concentre autour du club de foot local, le FC Durrenbach. Le club fait office et de salle de sport, et de lieu de rencontre, où se discutent les questions de la commune ; c’est un peu la mairie, la poste, le bistrot et le club de rencontres tout-en-un.
Le week-end annonçant du beau temps, Aline décide d’emmener ses enfants jouer au club.
Assise sur les gradins, la coiffeuse remarque rapidement les regards en biais jetés par le gardien de but de l’équipe 2. À croire qu’il est plus concentré par cela que par le jeu. Elle lui fait un signe de la main et un sourire engageant, mais le jeune homme détourne soudainement la tête, visiblement très embarrassé. Ce n’est pas grave, elle ira lui parler dans les vestiaires quand le match sera fini.
L’attention d’Aline se détourne un moment du gardien de but pour se concentrer sur une petite femme aux cheveux courts couleur carotte, vêtue d’un col roulé bleu ciel et d’un vieux jean délavé, assise à côté de l’entraîneur et faisant de grands signes menaçants en direction des joueurs de l’équipe 2.
— Jean ! Combien de fois je t’ai dit de rester concentré sur le ballon, hein ? Bon sang mais où ce que tu regardes ? Mon pauvre garçon, mais tu rêves ou quoi ?
Le flot de paroles en français cède ensuite la place à une flopée d’injures en patois alsacien. Tout le monde autour rit de bien cœur, c’est toujours comme cela quand « Mamie foot » assiste à un match.
Le visage du gardien de but devient instantanément aussi rouge que son maillot.
— Un fils à maman ! conclut Aline, le sourire aux lèvres, ça ne marchera jamais !
Pourtant un début de relation a bien lieu. Les deux jeunes gens s’apprécient rapidement. Si Aline a l’habitude de l’attention masculine sur elle, pour Jean c’est la toute première fois qu’une fille s’intéresse à lui aussi ouvertement. Il tombe rapidement éperdument amoureux de la belle coiffeuse blonde.
Cette relation inattendue est aussi une véritable aubaine pour la jeune femme. Jean représente l’antithèse de son ex-mari et père de ses enfants. Malgré les sentiments qu’elle ressent pour lui, elle voit aussi le côté pragmatique de la chose : hormis le fait qu’il soit un garçon simple et facile à vivre, il possède aussi (et surtout) une jolie maison, des revenus confortables, conduit une belle voiture et doit sûrement être l’héritier de quelques centaines de milliers d’euros gardés chez un notaire en attendant d’être débloqués.
Jean Bowe, comme tout garçon ayant vécu très longtemps avec sa maman, en a gardé des « séquelles » : il est d’une timidité maladive, manque d’assurance, est un peu mollasson, un peu commun, mais néanmoins poli, gentil et au tempérament égal, il n’élève jamais la voix et ce, même quand il est contrarié.
De son côté, l’égo de Jean Bowe subit un véritable bouleversement : il est extrêmement flatté qu’une femme aussi séduisante s’intéresse à lui de cette manière. C’est ainsi que leur romance et leur relation commence, en secret. Jean Bowe, qui a l’habitude de tout raconter à sa mère, sent qu’il est en train de brûler la ligne rouge pour la première de sa vie et cela est loin de lui déplaire, bien au contraire.…
Retour en juin 2017. L’enquête sur la mort de Béatrice Bowe se poursuit dans un climat chargé. Les gendarmes ont mis la maison de la victime sous perquisition, ils continuent d’y faire de fréquents allers-retours à la recherche de potentiels nouveaux indices, de ceux qui peuvent échapper même à l’enquêteur le plus aguerri.
Leurs dernières découvertes indiquent qu’il n’y a pas de traces d’effraction. Les cousins de Madame Bowe, arrivés les premiers sur place, disent avoir découvert la porte d’entrée grande ouverte et les clés accrochées à la porte.
Les gendarmes concluent que Madame Bowe connaissait déjà celui qui allait devenir son meurtrier ; et pourquoi cela ne serait pas finalement quelqu’un de son entourage ? L’enquête prend alors un nouveau détour pour se concentrer cette fois-ci sur la famille proche. Et si cette histoire avait un quelconque rapport avec l’argent ?
C’est sur son lieu de travail que Jean Bowe reçoit le coup de téléphone de la gendarmerie. On lui demande de se présenter au poste dans les plus brefs délais.
En arrivant chez les gendarmes, Jean est étonné d’apprendre qu’il est l’un des premiers suspects de l’affaire : en sa qualité d’unique héritier, Jean voulait probablement abréger les jours de sa mère pour mettre la main sur l’argent de l’assurance vie.
De son vivant, Madame Bowe avait souscrit une assurance vie et possédait un peu d’épargne. En tout, le patrimoine est estimé à 200 000 euros.
Au terme de son interrogatoire, Jean Bowe est placé en garde à vue.
« Je n’aurais jamais tué ma mère pour récupérer l’héritage ! » dit-il aux gendarmes.
Si les enquêteurs doutent de sa bonne foi, c’est que le jour de la mort de sa mère, le jeune homme de vingt-neuf ans a eu un comportement des plus étranges. D’habitude si réservé, Jean est aperçu plus d’une fois en train de sourire béatement. Cette attitude est aussi jugée comme suspecte : que cache-t-il vraiment ?
« Je ne montre pas trop mes émotions, ça doit être ça l’explication… Les gens ont dû mal interpréter le fait que je souriais, j’étais en état de choc, je ne savais pas ce qui se passait autour de moi ni ce que je faisais. » raconte-t-il.
Mise à part la question de l’héritage, n’y aurait-il pas une autre raison qui aurait poussé le fils à commettre l’irréparable ? Une raison qui l’aurait incité à en vouloir à sa mère au point de la massacrer ?
Pourtant, un élément est là pour l’innocenter : l’heure du décès de sa mère.
Les légistes disent que la mort de Madame Bowe est située entre 8 h et 9 h du matin. Quand les pompiers sont arrivés sur les lieux, ils ont trouvé le petit déjeuner encore sur la table ; à cette heure-ci, Jean était déjà sorti depuis longtemps.
Il raconte qu’il s’est réveillé à cinq du matin et qu’il s’est rendu à son travail aux alentours de six heures, ce qui va être prouvé par la suite, notamment grâce au traçage téléphonique ainsi qu’aux témoignages de ses collègues qui tous confirment que Jean Bowe était bien avec eux et qu’il ne s’est pas absenté de toute la matinée.
Il faut dire aussi qu’il n’a absolument pas le profil d’un criminel.
« Un décalage flagrant entre le personnage un peu mou qui est Jean et la haine viscérale qui a armé le bras de celui qui a mis les trente-six coups de couteau à Béatrice » raconte un journaliste d’investigation.
À partir de ce moment, Jean Bowe sera éliminé de la liste des suspects et les recherches vont se poursuivre.
À présent, nous allons nous immiscer un peu plus dans l’intimité des Bowe pour connaître les dessous de cette relation mère-fils.
À Durrenbach, le « couple » formé par Bowe mère et fils était des plus singuliers. Oui, ils s’adoraient, oui ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre, mais la réalité doit être nuancée.
« Béatrice avait toujours son mot à dire sur tout. Elle n’acceptait pas tout, elle donnait des ordres et Jean devait s’exécuter sans chercher à négocier, elle n’acceptait pas qu’on lui tienne tête ! » raconte Yannick Schuller, cousin germain de Béatrice.
Une mère castratrice ? En quelque sorte, oui.
Loin de l’image de la mamie active, grognon mais pas méchante pour autant, elle est plutôt décrite par ses proches comme une femme autoritaire, intrusive, caractérielle, qui faisait mener la vie dure à son fils unique incapable de lui tenir tête.
L’une des preuves de cette emprise est le harcèlement téléphonique. En effet, Béatrice n’hésite pas à submerger son fils de messages dès qu’il est en retard de quelques minutes. Même chose quand il sort avec ses amis, c’est toujours des SMS moralisateurs et des reproches qu’elle lui envoie : « Tu fais quoi encore dehors ? Tu vas encore payer la tournée à tes copains ? C’est comme ça que tu fous en l’air l’argent gagné à la sueur de ton front ? »
Béatrice Bowe a fait du chantage affectif son arme la plus redoutable. Des reproches quasi-quotidiens qui terrorisent son fils, qui n’a d’autre choix que d’abréger ses sorties en laissant plantés là ses copains à plusieurs occasions. Comme cette fois où Jean écrit à l’un d’eux :
« Je me suis fait engueuler par maman, désolé mais je ne pourrai pas vous accompagner ce soir ! »
Quand il fait la rencontre d’Aline Arth, les choses se compliquent davantage.
Cela va prendre un peu plus d’une année pour qu’il trouve enfin le courage de la lui présenter pour la première fois. Cette première rencontre, Jean l’a longtemps repoussée malgré les supplications d’Aline qui ne comprenait pas l’attitude de son petit ami. En vérité, il ne lui a jamais parlé de sa mère ni de la nature de la relation dominant-dominé qu’ils entretiennent.
Nous sommes en octobre 2016 et qui dit mois d’octobre en Alsace dit forcément fête de la bière. La très populaire Oktoberfest, où le liquide or coule à flots et où les plats de choucroute aux saucissons sont à l’honneur.
C’est l’occasion que Jean Bowe choisit pour présenter sa petite amie à sa mère et au reste de la famille. Mais la rencontre ne se déroule pas comme prévu ou du moins pas comme il l’aurait souhaité.
Jean pense bien faire en arrivant bras dessus bras dessous au restaurant dans lequel est organisé l’Oktoberfest à Durrenbach. Le jeune couple a choisi de se déguiser en tyroliens : short noir en velours, chemise à jabot et chapeau à plume pour Jean, jupe blanche à volants, coiffe en dentelle et tablier bleu pour Aline.
Béatrice qui est présente est presque sous le choc. Durant toute la soirée, elle va afficher une tête d’enterrement qui n’échappe à personne parmi l’assemblée, elle qui adore les festivités de l’Oktoberfest en est à présent presque dégoûtée. Autour d’elle, elle ne voit plus personne, ses yeux sont braqués sur le jeune couple, sur son fils qui est en train de lui filer entre les doigts et sur cette femme blonde tellement aguicheuse qui se colle à lui.
Depuis cette fameuse première soirée, Béatrice ne fera aucun effort pour sympathiser avec la petite amie de son fils et quand elle apprend que c’est du sérieux et qu’ils projettent de se marier, elle en tombe carrément malade et sombre dans une forme de dépression.
« Je ne la sens pas, je ne l’aime pas, elle paraît intéressée, elle profite de mon idiot de fils, de sa bonté et de son bon cœur » confie-t-elle un jour à son cousin Schuller.
Si Béatrice Bowe juge aussi durement Aline Arth, c’est que son profil ne lui convient pas. La vieille dame a grandi dans un milieu catholique traditionnel où le divorce est perçu comme un ultime péché, un échec cuisant pour une femme incapable de sauvegarder son bien le plus précieux : son foyer.
Or, il se trouve que cette fille est justement divorcée, qu’elle est beaucoup plus âgée et expérimentée que son fils, qu’elle a déjà deux enfants, en somme tous les éléments qui font qu’elle ne fera pas une parfaite Madame Bowe aux yeux de Béatrice.
Fidèle à sa langue bien pendue, elle en parle ouvertement à son fils :
« Tu ne pouvais pas te choisir une fille sans antécédents familiaux, sans enfants et sans attaches ? Non, il fallait absolument que ça soit CELLE-LA ! »
Aline ou une autre, en réalité Mamie foot ne veut pas de belle-fille du tout, elle n’arrive pas à se faire à l’idée que son fils est déjà adulte, qu’il a ses propres besoins, qu’il souhaite « quitter le nid » et couper définitivement le cordon ombilical.
À mesure que la relation entre Aline et Jean commence à devenir de plus en plus étroite et sérieuse, la jeune coiffeuse commence à s’investir de plus en plus dans la vie du club de Durrenbach. Elle joue elle-même dans l’équipe féminine et se donne corps et âme dans la vie du club.
Elle va non seulement entraîner l’équipe des petits mais également s’occuper de l’entretien des vestiaires, du linge du club, de faire les courses pour la buvette, distribuer les avis, taper le courrier, régler toute la paperasse administrative, etc. Rapidement, sa présence devient quasi indispensable, rapidement elle commence à voler la vedette à « Mamie foot ».
« Aline, c’était une fonceuse, on l’entendait de loin et on lui obéissait ! » se souvient un voisin des Bowe.
Une tout autre version de la jeune femme coquette. On parle ici d’une femme au fort tempérament, caractérielle voire colérique, qui aime monopoliser et qui commence à prendre de la place, même beaucoup trop de place au sein du club. Avec Jean, son fiancé, les choses ont beaucoup changé.
Alors qu’elle avait consenti à négocier au début de leur relation, à présent elle le veut tout pour elle, pas question de le partager avec Béatrice ou même avec ses amis. Elle ne cache pas sa volonté de le couper de son entourage. Un début d’emprise. Jean se laisse faire, comme de coutume.
Pour arriver à ses fins, Aline a une très bonne tactique : assujettir son compagnon par le biais du sexe. Elle est souvent en demande, réclamant son affection et sa sensualité. Elle lui envoie souvent des SMS et des messages WhatsApp très coquins où elle expose carrément sa faim sexuelle et le désir qu’elle éprouve pour lui. Jean, complétement subjugué, tombe littéralement dans le piège.
Il commence à délaisser sa mère et ses amis avec lesquels il devient froid et distant. À présent, son monde tourne autour d’Aline et du chantage sexuel avec lequel elle l’enchaîne à elle.
Depuis le premier jour où elle l’a vu à la fête de la bière, Béatrice Bowe a du mal à « digérer » cette femme. À mesure que le temps passe, sa haine envers elle ne fait que croître davantage. D’ailleurs, elle ne l’appelle même pas Aline mais die andere qui signifie, en dialecte alsacien, « l’autre ».
À partir de ce moment, c’est la guerre déclarée entre Béatrice Bowe et Aline Arth, non pas la petite rivalité classique belle-mère contre belle-fille mais un vrai ressentiment réciproque fait de haine et de mépris. Jean qui se retrouve au milieu des deux rivales ne sait plus dans quel camp se ranger pour ne blesser ni l’une ni l’autre.
Mais cette tension croissante n’est pas de bon augure, c’en est arrivé au point où si l’autre doit exister, l’autre doit impérativement disparaître.
Lors de l’autopsie du corps de Béatrice, un indice troublant alerte les médecins légistes : ses doigts et ses bras montrent des traces de griffures, des traces de coups, preuve que « Mamie foot » s’est battue jusqu’à son dernier souffle contre son assaillant.
Une griffure suspecte d’environ dix centimètres, aperçue sur l’avant-bras d’Aline Arth, soulève bien des questions. Interrogée, la coiffeuse raconte les circonstances dans lesquelles a été faite cette blessure :
« C’est Béatrice qui m’a griffée, mais c’était involontaire de sa part. Quand j’étais chez elle, le jour où ces romanichels traînaient dans les parages, elle a ouvert la porte pour les éloigner, le ton a monté, elle m’a alors agrippé le bras très fort, elle avait peur et c’est comme ça qu’elle m’a fait cette griffure… »
Euh, oui.
Le récit d’Aline Arth manque de crédibilité et pour cause, tous ceux qui connaissent Béatrice Bowe sont d’accord pour dire qu’elle n’était pas le genre à paniquer. Malgré sa petite stature, elle n’avait peur de personne et d’aucune situation, quel que soit son degré de dangerosité.
L’alibi du couple de gitans est donc éliminé par les enquêteurs qui commencent à présent à surveiller de plus près Aline Arth.
Comme pour se racheter, cette dernière commence à parler de cette histoire de griffure autour d’elle, tout le monde y a droit : les voisins, les amis de Jean, les proches, ses clientes du salon de coiffure, elle ressent le besoin constant d’en parler d’une voix désintéressée, comme pour essayer de rallier à sa cause le maximum de monde possible. Mais cette façon de faire, loin de la discréditer, provoque l’effet inverse et ne fait que renforcer les soupçons sur elle.
Et puis, il y a d’autres éléments qui font mouche.
Grâce à l’alarme incendie, les enquêteurs savent que le meurtrier s’est rendu deux fois au domicile de la victime, une première fois à 8 h 30 pour la tuer et une deuxième fois pour mettre le feu à la maison vers 13 h. Deux fois, cela fait beaucoup ! Or, il se trouve qu’Aline Arth était justement dans les parages au moment où le crime a eu lieu.
Elle tente de s’expliquer : je suis allée vérifier si les portes des vestiaires du club étaient correctement fermées.
Pas très convaincant comme explication.
L’étau judiciaire se resserre sur Aline Arth. Le parquet de Strasbourg ne croit pas aux coïncidences qu’elle relate, son témoignage présente d’ailleurs beaucoup d’irrégularités et cette fameuse griffure accidentelle est tout sauf réaliste.
Un autre indice vient l’enfoncer davantage : le numéro d’immatriculation de la caravane du couple de gitans venu, selon elle, pour voler Béatrice est un faux. En effectuant des recherches dans ce sens, les gendarmes découvrent que le numéro existe bel et bien sauf que son propriétaire est un homme habitant dans les Pyrénées-Atlantiques et qu’il n’a jamais mis les pieds en Alsace.
Aline intrigue de plus en plus la police. Sa présence chez Béatrice bien avant sa mort devient suspecte. Appelée une seconde fois à la gendarmerie, elle y subit un examen médico-légal de la griffure présente sur son avant-bras avant d’être mise en détention provisoire.
Prise au piège de ses propres aveux contradictoires, Aline Arth clame son innocence.
À Durrenbach, l’annonce de sa mise en détention provoque un choc terrible. Pour la famille de Béatrice et le fils de cette dernière, c’est tout simplement le ciel qui leur tombe sur la tête.
Présentée à un psychiatre judiciaire, Aline Arth est décrite comme étant une femme tout à fait normale et équilibrée. Toutefois, l’expert ne nie pas le fait que des sentiments d’une extrême violence ont pu intervenir au moment du crime, le cumul de tous ces mois de tension et de ressentiment a peut-être fini par exploser, Aline ayant certainement agi comme une bombe à retardement.
Toutefois, il manque le mobile, la goutte qui a fait déborder le vase, ce qui a déterminé son passage à l’acte, celui qui a poussé Aline Arth à agir comme le monstre sanguinaire qu’elle est devenue. Et ce mobile, les enquêteurs trouvent son explication dans les deux mois précédents le crime, soit en janvier 2017, pendant la période des traditionnelles vacances d’hiver.
Comme chaque année, Jean Bowe et sa mère avaient l’habitude de prendre une semaine de vacances dans une station de ski autrichienne mais cette année, il y a un petit changement dans le programme, Aline et ses deux enfants veulent les accompagner. Mamie Foot a déjà pris sa décision : c’est NON ! Hors de question que die andere (le surnom d’Aline) les accompagne avec ses garnements !
Blessée dans son orgueil, Aline Arth persiste pourtant dans son projet de passer ses vacances avec son amoureux. Elle fait alors une proposition : elle accepte de payer généreusement la part de Béatrice, de lui offrir son congé en quelque sorte. Les choses se tassent, Mamie Foot se calme. Pas pour très longtemps.
Arrivés à destination, Aline et ses enfants d’un côté, Jean et sa mère de l’autre, ils découvrent l’appartement qu’ils vont devoir partager durant la semaine de ski. Sans aucune considération pour Aline, Béatrice demande que son fils dorme dans la même chambre qu’elle, ce qui a le don d’exaspérer au plus haut point cette dernière qui pose alors un ultimatum à son compagnon : si tu fais cela, je te quitte pour de bon. Il n’a d’autre choix que d’acquiescer.
À cause de cet incident, les vacances se passent sous haute tension où les deux femmes ne s’adressent pas la parole une seule fois durant tout le séjour.
À leur retour à Durrenbach, Béatrice Bowe prend son fils à part et lui ordonne de quitter Aline, c’est clairement le « c’est elle ou moi ». Fidèle à son tempérament flegmatique, incapable de se fixer ou de prendre une décision, Jean continue à osciller entre les volontés de sa mère et celles plus pressantes de sa fiancée.
Aline est rancunière, Béatrice aussi. Jean, dont elles se disputaient l’affection jusqu’à maintenant, passe au second plan. À présent, c’est qui fera tomber et plier l’autre, juste pour le plaisir de la voir à terre, juste pour le plaisir de savourer la victoire.
Pourtant Aline consent à faire une ultime concession. Jusqu’ici, elle a toujours senti la haine qu’éprouve Béatrice pour elle mais elle veut entendre de sa propre bouche les raisons de cette détestation.
C’est alors qu’elle prend la décision de lui rendre visite en compagnie de Jean le 3 avril 2017. La jeune femme cherche à avoir une explication claire sur le sujet.
Pourtant, une fois chez Béatrice, le ton monte rapidement, les mots tus pendant des mois sortent avec une rare violence. Quand Aline, très remontée, pose la question fatidique à Béatrice : « Mais enfin, qu’est-ce que tu me reproches ? », Béatrice répond avec mépris : « Tu veux savoir une chose ? Tu n’es rien, absolument rien pour moi, je ne t’accepterai jamais dans ma famille en tant que belle-fille, je n’accepterai jamais tes enfants, à présent ouste, sors de chez moi ! »
Aline quitte la maison en claquant la porte pour retourner dans son salon de coiffure. Pendant toute l’après-midi, sa colère ne s’apaise pas ; elle sait que, tôt ou tard, Béatrice Bowe finira par récupérer son fiston, elle sait aussi que Jean n’a pas assez de tempérament pour prendre une décision. D’ailleurs il n’a même pas bougé de sa place quand elle a quitté la maison en larmes. Décidément, c’est bien elle la perdante, elle avait tant espéré de cette relation mais c’est un véritable fiasco, encore pire que son premier mariage.
Aline Arth est au bout du rouleau, elle ressent un vide terrible, sa vie n’a été qu’une collection d’échecs, côté financier c’est la catastrophe aussi et le côté amoureux sur lequel elle fondait encore quelques espoirs commence lui aussi à s’effriter.
Les mots incisifs et volontairement méchants de Béatrice lui résonnent encore dans les oreilles, elle sent la rage monter en elle, une rage de détruire, de faire du mal, de se venger.
Les choses auraient donc basculé après ce fatidique 3 avril 2017. Trois jours plus tard, Aline Arth tue celle qui constituait un obstacle à son bonheur. Selon les experts psychiatriques, le fait qu’elle lui ait littéralement arraché le visage voulait dire qu’elle la dépersonnifiait symboliquement, comme pour effacer à jamais ses traits de sa mémoire.
L’enquête sur le meurtre de Béatrice Bowe dure trois ans, trois ans durant lesquels Aline Arth, principale suspecte, reste en détention provisoire. Elle plaide son innocence lors de son premier auditoire, ses avocats l’encourage d’ailleurs dans son sens, forts du fait qu’à part la griffure sur l’avant-bras, il n’y a d’autres preuves tangibles en mesure de l’incriminer.
Le 29 juin 2020, la principale accusée comparaît devant la cour d’assises du Bas-Rhin. Dès le début de la séance, ses avocats donnent le ton : leur cliente est innocente. Dans la maison de la victime, les enquêteurs n’ont trouvé aucune trace ADN appartenant à Aline Arth et vice versa. Si tout porte à croire qu’elle a bien arraché le visage de sa belle-mère, il y aurait bien eu des traces de sang sur elle, mais des gens l’ayant croisée ce jour-là disent qu’elle n’a pas changé de vêtements.
Le contenu de son armoire passé au luminol ne fait état d’aucune trace de sang appartenant à la victime.
Tout, dans cette affaire, donne l’impression que beaucoup d’éléments susceptibles d’asseoir la culpabilité de la coiffeuse viennent à manquer : personne ne l’a vu sortir de la maison de Béatrice Bowe ce jour-là, aucune trace ADN, aucune vidéo ni traçage téléphonique, des éléments qui d’habitude font lourdement pencher la balance dans les affaires criminelles.
Assise dans le box des accusés, le visage tendu et les cheveux longs, Aline Arth a du mal à cacher son chagrin et son anxiété. Silencieuse et le regard dur, elle ne fait rien pour entrer dans les faveurs des membres du jury qui, eux, ont d’ores et déjà pris leur décision : la griffure sur l’avant-bras d’Aline et sa présence sur les lieux du crime ont suffi pour l’incriminer.
À l’issue des délibérations, l’ancienne coiffeuse et mère de deux enfants est finalement condamnée à dix-huit ans de réclusion criminelle, l’avocat de la partie civile avait requis initialement la réclusion criminelle à perpétuité.
Depuis sa condamnation survenue le 1er juillet 2020, Aline Arth a fait appel de la décision de justice, elle persiste à dire qu’elle est innocente, que ce n’est pas elle qui a tué Madame Bowe. Ses avocats craignent qu’une peine encore plus lourde ne l’attende à l’issue du procès en appel, mais Aline Arth souhaite quand même tenter sa dernière chance.
À Durrenbach où la plupart des habitants sont convaincus de sa culpabilité, beaucoup expriment leur soulagement qu’elle n’ait pas été acquittée.
Une maman trop accaparante et possessive, un enfant « Tanguy » accroché à ses jupons et une petite amie en guise d’intruse, l’affaire Aline Arth est le symbole même du drame provoqué par un toxique ménage à trois qui n’aurait jamais dû se produire. Le dialogue de sourds qui a persisté entre les trois protagonistes a fini par déclencher les haines les plus viscérales et a aboutir au tragique épilogue final.
Les sources :
- AFFAIRE ALINE ARTH
- « Affaire Aline Arth : Une belle-mère trop possessive ? » au sommaire d’Enquêtes Criminelles ce soir sur W9
- Meurtre de Durrenbach : « Quand je suis partie, Béatrice était vivante »
- 18 ans de réclusion criminelle pour Aline Arth : ses avocats font appel
- Vers une piste criminelle
- Durrenbach
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