Rapidement dépassés par les événements, la police et le parquet de Grenoble abandonnent une à une les affaires, laissant sous-entendre que les recherches sont en cours alors qu’elles finissent toutes ou presque dans les archives.
Livrées à elles-mêmes, ne sachant à qui s’adresser, certaines des familles des enfants disparus décident de s’organiser pour mener leur propre enquête mais à quel prix ?
Source : france3-regions.francetvinfo
L’affaire des « Disparus de l’Isère », c’est aussi une justice qui va tout faire pour dissimuler la vérité, allant jusqu’à égarer des dossiers entiers, falsifier des données et ordonner la destruction de scellés et de cadavres ! Du jamais vu dans les annales judiciaires françaises !
Au milieu de tout cela persiste le doute : qui est derrière la disparition des enfants ? Un tueur en série, un dangereux prédateur sexuel ? Sont-ils un, deux ou plusieurs individus ?
Dans notre affaire criminelle d’aujourd’hui, il s’agira de lever le voile sur les nombreux faux-pas commis par les enquêteurs mais aussi sur des moyens parfois ingénieux employés par certaines familles pour en venir à bout de leur détresse.
Arriveront-ils cependant à retrouver leurs enfants ?
Nous sommes en mars 1983 dans un petit village de la Sarthe où la famille Janvier s’apprête à déménager. Leur destination : Grenoble, où ils comptent repartir à zéro et trouver un nouveau travail. Derrière eux, ils laissent leur commerce, un bar-tabac-boulangerie qui ne marche plus vraiment bien depuis quelque temps.
Avec cela, les factures impayées se sont amoncelées, les mettant dans l’impasse. Incapables de s’acquitter de leurs dettes, ils décident de tout liquider du jour au lendemain, redoutant d’assister au naufrage de leur commerce.
Malgré la nostalgie, la peine et l’appréhension qui les taraudent déjà à l’idée de tout reprendre à zéro, le couple ne compte pas revenir sur sa décision. Les Janvier sont parents de quatre jeunes enfants : l’aîné Jérôme est âgé de huit ans, Ludovic, six ans et Nicolas, deux ans et demi. Virginie, l’unique fille de la fratrie, a quant à elle cinq ans.
En attendant de trouver un logement et du travail, le couple et leurs enfants sont hébergés à Saint-Martin-d’Hères chez un grand-oncle. La maison est située juste en face de plusieurs blocs HLM, pas assez grande pour abriter tout ce monde mais tant que c’est du temporaire, ça ira bien. Les enfants, heureux d’habiter dans une « vraie ville » pour la première fois, ne tiennent pas en place.
Il faut savoir qu’à cette époque, la psychose actuelle ressentie et vécue chaque jour par de nombreux parents n’est pas encore d’actualité. Au début des années quatre-vingt, les enfants ont l’habitude de jouer dehors jusqu’au soir, de dévaler les pentes à vélo, de faire du patin à roulettes, d’allumer des pétards, de tomber et de se blesser les jambes sans que cela n’alarme personne ; c’est aussi une époque où ils pouvaient aller faire les commissions de maman ou papa sans risquer de tomber sur un individu mal intentionné. Les médias alarmistes ne sont pas non plus à l’ordre du jour.
La confiance est telle que la plupart des parents baissent la garde dès que l’enfant commence à marcher et à parler. À cinq ou six ans, nombreux sont ceux qui se rendent tout seuls à l’école, chaperonnés par un grand frère ou une grande sœur à peine plus âgée. Oui, c’était une autre époque. Il est clair que le sentiment d’insécurité était largement moindre qu’aujourd’hui.
Installés depuis à peine trois semaines dans cette banlieue de Grenoble, la famille Janvier commence à s’adapter graduellement à sa nouvelle vie, le père a réussi à être embauché dans l’une des nombreuses usines de la périphérie et les enfants essayent tant bien que mal de s’acclimater dans leur nouvelle école.
Pourtant, rien ne semblait présager les événements à venir.
Le jeudi 17 mars 1983 en fin d’après-midi, Jérôme, Ludovic et le petit Nicolas sont envoyés par leur père chez le buraliste du coin pour lui acheter des cigarettes.
Jérôme et Ludo, enchantés par la promesse de garder la petite monnaie pour s’acheter des bonbons, installent Nicolas dans sa poussette et foncent au bar-tabac situé à environ deux cents mètres de la maison.
Leur achat effectué et la bouche pleine de réglisse, ils reprennent le chemin du retour lorsqu’ils se font accoster par un homme, place de la République. L’individu conduit une moto, il est vêtu d’une combinaison de cuir blanche et porte un casque sur la tête.
Les garçons, loin d’être intimidés, engagent rapidement la conversation avec lui. L’homme leur raconte qu’il vient de perdre son petit chien et qu’il est en ce moment même à sa recherche, pourraient-ils l’aider ? En guise de récompense, ils auront droit à tous les bonbons qu’ils voudront, et bien plus chers que ceux qu’ils mâchouillent en ce moment.
À cette seule éventualité, les yeux de Ludovic se mettent à briller mais Jérôme le presse qu’il faut rentrer, sinon maman les grondera. Ça ne fait rien, dit l’homme au casque, tu peux rentrer, petit, ton frère pourra m’accompagner.
Jérôme et Nicolas rentrent ensemble, laissant derrière eux Ludovic seul avec l’inconnu. Ils ne le savent pas encore, mais c’est la dernière fois qu’ils voient leur frère.
À 21 h 00, l’état d’alerte est donné dans tout le quartier : un enfant de six ans vient de disparaître. Les voisins et les parents de Ludovic font le tour des blocs d’immeubles, vont chez le buraliste, fouillent les garages, les caves et tous les lieux désaffectés, mais aucune trace du petit garçon ni de l’homme qui l’accompagnait.
Tard dans la nuit, ils appellent tous les hôpitaux du département de l’Isère, en vain. Il n’y a aucun témoin oculaire, aucune trace, Ludovic s’est comme volatilisé !
Le lendemain, toujours sans nouvelles et morts d’inquiétude, les parents préviennent finalement la police. Jérôme, très bouleversé, donne une description assez claire de « l’homme à la mobylette » aux policiers. Un portrait-robot est alors effectué, les fiches des malfrats qui ont sévi ces dernières semaines dans le département sont consultées. Plusieurs interpellations s’ensuivent, l’emploi du temps d’une trentaine de suspects est passé au crible, sans résultats. Tous sont finalement relâchés.
Les jours suivants, les parents de Ludovic commencent carrément à squatter au commissariat jusqu’à ce qu’on leur dise que leur présence n’aidera pas dans l’avancement de l’enquête et ils sont priés de rentrer chez eux. « On vous contactera dès qu’il y aura du nouveau. » Mari et femme s’en vont chez eux le cœur lourd.
À Saint-Martin-d’Hères, la disparition du petit Ludovic est sur toutes les lèvres, c’est devenu LE sujet d’actualité local. Les voisins essayent tant bien que mal d’épauler les parents, en vain. Sans nouvelles de leur petit garçon, ces derniers sont incapables de fermer l’œil de la nuit.
Les caméras d’Antenne 2 débarquent une semaine plus tard pour recueillir les témoignages des enfants.
Jérôme redit devant les journalistes ce qu’il a raconté aux policiers : l’homme qui les a abordés lui et ses frères était habillé tout en blanc, avec un casque à rayures orange et conduisant une moto.
La maman persiste à croire que Ludovic est caché quelque part et s’accroche à l’espoir de le revoir vivant. Face à la caméra, elle lance un cri de cœur aux ravisseurs : « Je leur demande de me rendre mon fils, qu’ils ne lui fassent pas de mal, c’est tout de même mon petit garçon et je l’aime… On ne mérite pas ça… »
Sans aucun début de piste, l’enquête a du mal à démarrer. Les parents du disparu font plusieurs tentatives pour réussir à avoir quelques bribes d’information sans succès.
« Mais enfin, on vous a bien dit que cela ne servait strictement à rien d’appeler à chaque fois, on vous préviendra dès qu’on aura du nouveau ! » dit avec impatience le standardiste du commissariat. Le ton cinglant les décourage d’aller plus loin.
Malgré l’absence de preuves, les investigations sont élargies à tout le département de l’Isère où l’ombre d’une première piste sérieuse se manifeste dans la région de Voreppe, située à une vingtaine de kilomètres de Grenoble. Des témoins avertissent la gendarmerie de la présence d’un individu en mobylette correspondant à peu près à la description faite par Jérôme Janvier à la télévision.
Le suspect est immédiatement interpellé mais les gendarmes découvrent finalement que hormis le fait qu’il possède une moto, il ne correspond finalement pas à l’individu qu’ils recherchent.
Néanmoins, sous la pression médiatique, de grands moyens sont déployés dans un premier temps : policiers, pompiers, brigade canine, plongeurs, ratissent tout le secteur, fouillent les cours d’eau et les fleuves, en vain.
Quelques semaines plus tard, les recherches sont finalement abandonnées.
En gens modestes et confiants, les Janvier ont l’intime conviction que la police est toujours en train de chercher, que des patrouilles fouillent partout et qu’ils finiront bien par retrouver leur enfant et jeter derrière les barreaux celui qui l’a kidnappé.
De leur côté, ils ne baissent pas non plus les bras. Pendant des semaines, seuls ou accompagnés de leurs enfants, ils collent des affiches un peu partout dans la région, font le tour du département chaque week-end en voiture, interrogent des passants en montrant la photo la plus récente de leur fils. « Avez-vous vu ce petit garçon, il a disparu le jeudi 17 mars, oui nous sommes toujours à sa recherche, oui c’est nous la famille qui est passée à la télé… »
Malgré toute leur bonne volonté pour continuer à mener une vie plus au moins normale avec leurs trois autres enfants, mari et femme sont torturés par la culpabilité, surtout le papa, et comme il faut s’y attendre dans ce genre de situation, des querelles éclatent, pleines de reproches et de propos humiliants : « Tu n’étais pas capable d’aller chercher tes clopes toi-même au lieu d’envoyer les petits ? », « Et toi, tu ne pouvais pas mieux surveiller ton frère ? »
Le silence de la police rajoute à leur frustration. « Pourquoi ils n’appellent pas ? Ils ont promis d’appeler pourtant ! » On tente de les raisonner, de leur dire qu’une enquête peut durer des semaines voire plusieurs mois, que ce n’est jamais une chose facile mais les Janvier sont hermétiques, obstinés dans leur douleur, en voulant à la terre entière. « Pourquoi nous ? » répètent-ils à qui veut les entendre.
Ce que la famille Janvier ignore, c’est qu’une affaire similaire à la leur s’est produite à quelques kilomètres de Saint-Martin, plus précisément le 15 mai 1980. Le disparu s’appelait Philippe Pignot, il a été vu pour la dernière fois à La-Morte-sur-l’Isère, à environ quarante kilomètres de Grenoble. Depuis, plus de nouvelles de lui.
Disparu à peu près dans les mêmes circonstances que Ludovic, Philippe n’a depuis plus donné signe de vie. La police a cherché pendant des mois mais incapable de tomber sur un indice sérieux pour orienter ses recherches, elle a préféré classer le dossier sans suite.
L’affaire Ludovic aurait pu inciter à plus de vigilance de la part de la police. Il n’en sera rien.
Nous sommes le samedi 9 juillet 1983 dans la cité Adrien Ricard à Grenoble. Tous les enfants sont en vacances depuis une semaine. Dans un petit appartement du deuxième étage de la rue du Vercors, Grégory Dubrulle, huit ans, dîne en compagnie de ses parents et de ses frères et sœurs. Les journées allongées sont une aubaine pour le petit garçon, qui ne pense qu’à finir rapidement de manger pour descendre jouer.
À 19 h 00, Grégory est assis dans l’allée de l’immeuble où il attend que son frère descende pour commencer une partie de football.
« J’étais assis sur la marche de l’escalier quand une voiture sport à deux portes s’arrête devant moi et le conducteur me demande son chemin, je lui montre mais il insiste pour que je l’accompagne. qu’il me dit, bon d’accord. Naïf comme on peut l’être à cet âge, je n’ai pas trop réfléchi et je suis monté à bord de la voiture. Arrivés au bout du chemin, j’ai voulu redescendre mais l’homme a insisté pour qu’on fasse encore un petit tour ensemble, il m’a dit qu’il connaissait mes parents et tout, et qu’il me raccompagnerait à la maison tout à l’heure. »
L’homme est avenant, souriant, rassurant, il est bien vêtu, conduit une belle bagnole. Grégory ne se pose pas trop de questions, et puis, ce n’est pas si grave s’il entrave pour une fois l’avertissement de sa mère de « ne jamais parler aux inconnus ». L’homme ouvre gracieusement la portière passager, Grégory s’y installe et les voilà partis.
À 19 h 30, Eddie, le frère aîné de Grégory finit par descendre. Mais où est passé son frère ? Il lui a bien dit qu’il l’attendrait au bas de l’immeuble ! Eddie attend un moment, si ça se trouve, il est parti chez un copain dans le voisinage immédiat.
20 h 00, 20 h 30, 21 h 00, toujours pas de Grégory.
À l’autre bout de la ville, ce dernier ne se doute pas à cet instant que son cauchemar ne fait que de commencer.
Rapidement il se sent mal à l’aise en compagnie de cet homme, il remarque aussi que l’atmosphère est soudain devenue pesante à bord du véhicule. Le petit garçon commence à s’inquiéter et à regretter son geste, il lutte pour freiner le gros sanglot qui lui monte à la gorge, les perpétuels avertissements de sa mère résonnent dans ses oreilles. Que faire à présent, sauter du véhicule ? Il n’en a pas la force ! Se mettre à hurler ? Cela risque de faire dégénérer les choses, mais où vont-ils comme ça ?
Grégory risque un regard sur l’inconnu : l’homme bavard et amical de tout à l’heure a cédé la place à une sorte de brute silencieuse et menaçante. L’enfant remarque que le silence règne dans la voiture comme lorsque papa et maman sont fâchés et qu’ils refusent de mettre la radio.
L’individu continue son trajet, sans jeter le moindre regard sur lui. Bientôt, ils s’engouffrent dans un petit chemin forestier.
La suite ? Grégory ne se souvient plus de rien jusqu’à ce qu’il se réveille au beau milieu d’une décharge le lendemain en fin de matinée. Que s’est-il passé ? Il est quelle heure ? Où se trouve-t-il en ce moment ? Il est tout bonnement incapable de faire la chronologie des tristes événements de la veille.
La décharge en question se trouve à Pommiers-la-Placette à une quarantaine de kilomètres de Grenoble. Couvert de mouches et de détritus, Grégory a très mal à la tête et découvre qu’il a une blessure au crâne. « Je sentais comme quelque chose de gélatineux quand je touchais le sommet de ma tête et j’avais du sang séché sur mon visage. »
Bien que très affaibli et en état de choc, Grégory parvient à s’extirper de l’amas d’ordures et à se traîner jusqu’au bord de la route. Son état épouvantable et ses blessures ne manquent pas d’alerter un passant qui le sauve in-extremis et le conduit immédiatement au CHU de Grenoble où il est admis aux urgences.
Les chirurgiens déclarent que l’enfant est un vrai miraculé, compte tenu de ses graves blessures au crâne. Le reste du constat est alarmant : Grégory a été battu, blessé au visage puis violé par son ravisseur qui s’est volatilisé dans la nature, comme il est apparu la veille dans la cité Adrien Ricard.
Les parents de Grégory sont immédiatement prévenus. Ils avaient de leur côté déjà alerté la police.
À la demande des policiers, le petit garçon dresse un portrait approximatif de son agresseur : un individu de race européenne, avec des cheveux bruns et un teint mat, âgé d’une trentaine d’années, mesurant environ 1,80 m et portant un tatouage représentant un cœur avec des initiales et transpercé d’une lame.
« J’étais comme dans une espèce de trou noir, j’étais incapable de me rappeler les circonstances de mon agression ni comment je me suis retrouvé dans cette décharge à la sortie de Grenoble ! » raconte Grégory aujourd’hui, arborant une grande barbe noire et vêtu d’un jilbab depuis sa conversion à l’islam en 1998.
Pour cette énième affaire d’enlèvement, la police consent pour la première fois à déployer une centaine de patrouilles dans tout le département. L’unique preuve sur laquelle elle se base est le portrait-robot réalisé. Malgré tout, aucun individu répondant aux critères donnés par le rescapé ne sera identifié et les recherches, comme pour le cas de Ludovic Janvier, finissent par être abandonnées.
La médiatisation des deux affaires dans la presse et les médias de l’époque est très importante et avec, tout le lot d’interrogations et d’appréhension qui caractérisent ce genre de faits : on kidnappe des enfants en Isère ! Pourquoi la police ne réussit-elle pas à mettre la main sur les ravisseurs ? Sont-ils un ou plusieurs individus ?
Suite à ces deux affaires tragiques, deux ans s’écoulent sans que l’on déplore d’autres victimes. Deux années suffisamment longues pour que Ludovic et Grégory soient oubliés des médias.
Source : dondevamos
Ni les policiers, ni les parents ne savent que la série noire des mystérieux rapts ne fait cependant que commencer.
Nous sommes le 25 juin 1985, dans un quartier HLM du quartier de l’Abbaye, dans le sud de Grenoble. C’est ici que la famille Ouadi, originaire du Maroc, partage un modeste appartement au septième étage du bloc C.
En fin d’après-midi ce 25 juin, Anissa Ouadi, cinq ans et demi, sort jouer à la marelle en bas de l’immeuble. Quand sa mère l’appelle du balcon pour monter dîner aux environs de 19 h 00, Anissa ne répond pas. Inquiète, la maman dévale les escaliers, fait le tour de la cour, mais pas de trace de la fillette. Le voisinage est alerté, le papa qui travaille de nuit dans une usine de textile est prévenu à son tour sur son lieu de travail.
Les premières recherches incluant la cave, le sous-sol, le parc voisin, ne donnent aucun résultat. La police apprend finalement qu’une troisième affaire de kidnapping a eu lieu. Cette fois-ci encore, aucune trace du passage du ravisseur, aucun témoin oculaire ne se manifeste, personne n’a vu Anissa suivre un individu suspect ce jour-là.
Deux semaines plus tard, les parents de la fillette reçoivent un coup de fil de la police judiciaire : Anissa a été retrouvée morte dans le barrage de Beauvoir.
Pour les enquêteurs, tout porte à croire que la fillette s’est noyée accidentellement alors qu’elle se trouvait au bord du fleuve. L’autopsie révèle que son cadavre ne comporte aucune trace de violence physique ni d’agression sexuelle.
Outre les circonstances dramatiques de la mort de la petite fille, la première question qui fuse est comment Anissa, âgée d’à peine six ans, est parvenue à parcourir tout ce chemin avant de se retrouver dans les profondeurs du barrage ?
D’après les éléments recueillis auprès de sa famille et de son entourage immédiat, elle est décrite à l’unanimité comme une enfant pas très dégourdie, craintive et très timide, pas du tout du genre téméraire et à suivre facilement quelqu’un qu’elle ne connaît pas. Elle avait cette notion du danger et craignait les remontrances de ses parents sur le sujet. Sa mère ajoute qu’elle savait pertinemment qu’il était formellement interdit de trop s’éloigner, et que seul le bas de l’immeuble était son périmètre de jeu.
Cette fois-ci encore, le dossier est classé sans suite.
Le cadavre d’Anissa repêché dans les eaux du barrage marque longtemps les mémoires et figure pendant un bon moment dans les rubriques “faits divers” de la presse.
Partout en France, le département de l’Isère est devenu synonyme de lieu peu propice pour vivre et élever des enfants, le danger y est devenu beaucoup plus menaçant que dans n’importe quelle rue mal famée de Paris.
À Grenoble et ses environs, toute la population est sur les dents, tous les parents de jeunes enfants commencent sérieusement à s’inquiéter, chacun est obsédé à l’idée de se rendre à son travail chaque matin pour apprendre au retour que son fils ou sa fille a été kidnappé sur la route de l’école ou en sortant jouer sur le pas de la porte.
Mais ce qui est le plus insoutenable dans cette histoire est que depuis deux ans, ni la police, ni les enquêteurs n’ont réussi à mettre un visage sur le ravisseur ; aucune preuve, aucune trace de son passage ne subsiste ; il reste alors un danger invisible, menaçant de frapper à tout moment.
Durant cette même année 1985, une macabre découverte redonne une lueur d’espoir. Dans la grotte d’Engins dans le massif du Vercors, connue pour sa végétation dense et ses forêts sombres où il est bien facile de dissimuler un cadavre sans se faire remarquer, un squelette d’enfant est découvert par deux spéléologues.
Rapidement, la découverte fait l’objet de plusieurs spéculations. Le squelette n’est pas entier, il est composé de quelques gisements d’os disposés derrière un petit muret de pierre à l’intérieur de la grotte.
Au début, cela ne réveille les doutes de personne en particulier car personne ne pense sur le moment que les os pourraient appartenir à l’un des enfants disparus depuis 1980, Philippe Pignot ou Ludovic Janvier. Au contraire, beaucoup présument que les gisements datent plutôt de la période de la guerre, au vu des nombreux combats qui ont eu lieu à l’époque dans la région. Pour en avoir le cœur net, la police départementale décide de soumettre les ossements à un légiste.
Après une longue autopsie, l’un des médecins surprend la population en déclarant pouvoir détenir un élément de réponse : selon lui, les ossements pourraient bien appartenir à un enfant de six ou sept ans, en l’occurrence Ludovic Janvier, disparu deux ans auparavant, le 17 mars 1983.
L’espoir renaît, donnant matière aux enquêteurs pour orienter leurs recherches dans ce sens. À cette époque où la médecine légale et l’exploitation des données ADN n’en sont qu’à leurs balbutiements, la seule et unique façon d’identifier un cadavre est de comparer sa dentition en se basant sur un orthopantomogramme.
Malheureusement, il se trouve que la famille Janvier ne possède aucune radio dentaire appartenant à Ludovic car ce dernier n’est tout simplement jamais allé chez le dentiste. Désemparés d’être dans l’incapacité d’aider dans l’enquête, les parents du garçon ont l’intime conviction que le sort est encore une fois en train de s’acharner sur eux.
Mais que va faire la justice de ces ossements non identifiés devenus tout à coup si dérangeants ? Nous le saurons un peu plus loin.
Pendant ce temps, l’abominable série d’enlèvements continue de sévir en Isère comme jamais. Et c’est deux ans plus tard que le cas de la petite Shahrazade Bendouiou fait parler de nouveau, le 8 juillet 1987.
Auparavant, Shahrazade habitait encore une HLM tranquille à Bourgoin-Jallieu avec ses sœurs et ses parents originaires d’Algérie, des gens modestes et s’exprimant à peine en français. La petite fille est décrite comme joyeuse, boute-en-train, aimant jouer et aller à l’école.
La cité de Bourgoin-Jallieu est réputée pour être paisible, brassant une population cosmopolite et pouvant s’enorgueillir de ne déplorer aucun problème de délinquance contrairement à beaucoup d’autres banlieues du même acabit.
Comme les Bendouiou, beaucoup de familles marocaines et algériennes vivent ici, tout le monde se connaît, se croise chaque jour et une certaine hospitalité et solidarité, héritée du Maghreb, subsiste encore entre voisins. La plupart des hommes travaillent comme ouvriers dans les différentes usines de la périphérie tandis que les femmes restent à la maison pour s’occuper des enfants, ne sortant que pour faire les courses, visiter des parents ou pour se rendre à l’hôpital.
« Avant la disparition de ma petite sœur, nous avions une enfance heureuse et tranquille, nous étions bien entourées à l’école comme à la maison. Dans le quartier on avait un parc pour jouer, il y avait des pharmacies, un supermarché et même un centre-commercial. » se souvient Fairouz, la sœur aînée de Shahrazade.
Source : lefigaro
Ce 8 juillet 1987 aux environs de 13 h 00, Shahrazade disparaît alors qu’elle jouait devant la porte de l’immeuble. Auparavant, elle est allée descendre les poubelles dans le local à ordures situé dans le sous-sol avant de remonter pour prévenir sa mère qu’elle allait sortir jouer dehors avec quelques voisines.
Ne la voyant toujours pas revenir en fin d’après-midi, sa mère donne l’alerte. Immédiatement, la nouvelle fait le tour du bloc d’appartements et tout le monde se met à sa recherche.
« Au début, on a cru qu’elle avait eu un accident, qu’elle était blessée quelque part sur une route et qu’elle était incapable de venir à nous pour nous prévenir, on n’a pas pensé un seul instant qu’il pouvait s’agir d’un rapt, mais alors pas un instant ! » raconte Fairouz.
Le lendemain matin, Shahrazade n’est toujours pas revenue, et c’est là que ses parents comprennent que quelque chose de vraiment grave lui est arrivé. Ils finissent par prévenir la police.
Les policiers n’ont absolument rien pour commencer leur enquête. Les quarante-huit heures écoulées, ils en sont toujours au point de départ. Tout ce qu’ils font, c’est recueillir les mensurations de la disparue et promettre aux Bendouiou de les rappeler à la moindre nouvelle.
À présent que tout porte à croire qu’il s’agit bel et bien d’une affaire de kidnapping, de mauvais souvenirs refont surface avec, en tête de liste, l’affaire toujours irrésolue du petit Ludovic Janvier. Et si son ravisseur était le même qu’avait rencontré Shahrazade ?
À la demande de la chaîne de télévision Antenne 2, la mère et les sœurs de Shahrazade font une annonce devant les caméras. La maman qui parle peu le français a recours à l’aînée Fairouz pour servir d’interprète entre elle et les journalistes de la chaîne.
Le message est clair : que celui ou ceux qui ont kidnappé Shahrazade ne lui fassent pas de mal et la ramènent à la maison. Fairouz est touchante, spontanée, veillant à traduire aussi fidèlement que possible les paroles des deux parties. Très digne, sa mère, installée à côté, jette des regards plein d’espoir aux journalistes, convaincue qu’ils ont le pouvoir d’accélérer les recherches.
Hélas, s’il ne suffisait que de cela pour convaincre un criminel de faire marche arrière !
Après cette entrevue (la seule accordée à la famille par la télévision nationale), silence radio. Les semaines passent puis les mois, toujours sans aucune nouvelle de la fillette.
Comme pour les affaires précédentes, les enquêteurs n’ont pas le début d’une piste pour commencer leurs investigations.
Une chose est sûre, dans les cités, les inconnus sont repérés facilement et à cause de la promiscuité, tout le monde est aux aguets. Si quelqu’un est venu aborder Shahrazade, il ne serait en aucun cas passé inaperçu ; comment expliquer que personne n’a rien vu ce jour-là !?
Tout compte fait, la famille de la petite fille va continuer à croire que son dossier est entre de bonnes mains et que depuis son passage à la télévision, la police a d’ores et déjà commencé son enquête. Comme pour Ludovic, Anissa et Grégory, le dossier de Shahrazade fini par rejoindre les archives de la police judiciaire de Grenoble pour… y rester.
Trois ans se passent encore, trois ans de trêve. Beaucoup pensent que les kidnappeurs, conscients d’être à la une des médias, ont préféré quitter le département pour se cacher ailleurs.
Ce n’est pas le cas.
En août 1988, Nathalie Boyer, quinze ans, disparaît à son tour.
Cette adolescente de quinze ans est l’unique enfant d’un couple récemment divorcé. La jeune fille vit très mal la séparation de ses parents. Elle est placée dans un premier temps dans une famille d’accueil avant d’aller rejoindre sa mère dans le nouvel appartement où elle s’est installée dans le nord de Grenoble.
Dans ce foyer déchiré, les rôles vont rapidement être inversés : la mère de Nathalie a du mal à asseoir son autorité et à contrôler sa fille. Cette dernière, en pleine crise d’adolescence, se montre particulièrement désagréable, désobéissante et volontiers rebelle. Déscolarisée depuis quelques mois, elle passe ses matinées à dormir et sort faire la fête chaque soir avec ses copains.
Le 3 août, Nathalie Boyer sort faire une promenade dans le quartier pavillonnaire de Villefontaine où elle habite avec sa mère.
Son corps est retrouvé le lendemain sur un sentier bordant la voie ferrée. Elle a été égorgée et battue à mort. L’autopsie ne fait cependant état d’aucune agression sexuelle.
En 1989, nouvelle disparition, nouveau cadavre de trop. Les faits remontent au 13 janvier à Grenoble, le jeune Fabrice Ladoux ne rentre pas, après sa journée d’école. Trois jours plus tard, un promeneur fait une macabre découverte dans le massif de la Chartreuse à quelques kilomètres de la ville. Le corps de Fabrice est découvert au fond d’un ravin, il a été étranglé à mains nues avant d’être violé.
Le département ne connaît pas de répit depuis qu’il affiche ce triste palmarès d’enlèvements d’enfants, c’est à savoir à présent qui sera le prochain sur la liste.
Un an plus tard, une nouvelle disparition suivie d’un meurtre a lieu. La victime est cette fois-ci Rachid Bouziane, un petit garçon âgé de cinq ans. Ce dimanche 5 août 1990, il joue au pied de son HLM à Échirolles, une cité populaire de Grenoble réputée pour être difficile et à problèmes.
À vingt heures, la maman de Rachid se rend compte qu’il n’est pas remonté pour dîner. Deux jours plus tard, son corps est retrouvé enroulé dans un tapis et jeté dans un hangar à une centaine de kilomètres du domicile de ses parents.
Après quelques mois d’intense investigation, la police finit par mettre la main sur un suspect qui va s’avérer le bon. Son nom, Karim Katefi, un Franco-Tunisien de trente ans et habitant lui aussi à Échirolles.
Karim Katefi avoue rapidement les faits et raconte comment il a suivi Rachid ce jour-là et l’a persuadé de le suivre à la cave pour lui monter une console de jeux. C’est le seul cas où la victime connaissait son ravisseur. Mis en détention provisoire, Katefi est finalement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour les chefs d’inculpation de meurtre prémédité, de détournement de mineur et de recel de cadavre.
La malédiction continue à présent de frapper chaque année, à peu près à la même période, en l’occurrence au printemps ou en été et toujours en fin d’après-midi.
En avril 1991, Sarah Siad, six ans, est enlevée devant son immeuble de Voreppe alors qu’elle y jouait avec sa sœur jumelle. Elles sont les dernières d’une fratrie composée de neuf enfants d’un couple maroco-algérien. Son cadavre est retrouvé quarante-huit heures plus tard dans un bois. Elle a été étranglée et agressée sexuellement.
Selon le journaliste d’investigation André Veyret, qui a couvert l’ensemble des affaires des disparus de l’Isère, ces tristes événements se sont succédé à une époque où les enquêteurs ne disposaient pas encore de la technologie nécessaire pour mener à bien les enquêtes. Il dit à ce propos :
« Le temps passant, une nouvelle affaire venait instantanément en effacer une autre et la condamnait à être oubliée. Avec cela, il faut aussi rappeler que les enquêtes étaient menées par des services différents, parfois par la police, parfois par la gendarmerie et il n’y avait aucune coordination entre elles, de sorte qu’elles ne se superposaient pas ; une nouvelle disparition venait occuper le devant de la scène pendant un moment avant d’être remplacée par la suivante et ainsi de suite ! »
Après l’assassinat de la petite Sarah Siad, l’Isère connaît cinq années de répit. Un répit de courte durée cependant. Les disparitions reprennent de façon inattendue lorsqu’un nouveau rapt vient faire beaucoup de bruit en juillet 1996.
Cette fois-ci, l’affaire ne ressemble à aucune autre, en raison du lieu où s’est produite la disparition et les circonstances de son déroulement.
Le décor aussi est bien différent, nous ne sommes plus dans les HLM surpeuplés de Grenoble ou les modestes maisons des cités ouvrières qui bordent la périphérie, mais bien dans le massif de Taillefer dans les Alpes. Celui-ci est d’ailleurs connu pour être endroit infranchissable, situé à deux mille mètres d’altitude au-dessus du lac Fourchu à Livet-et-Galet.
Léo Balley, six ans, accompagne ses parents qui font du bivouac avec d’autres amis campeurs. Ce 19 juillet, les températures sont agréables. Léo pose tout sourire devant l’objectif de son père. Cela sera le dernier cliché pris avant sa disparition. Accompagné de trois amis de son père, le petit garçon va chercher de l’eau dans une petite fontaine creusée à même la roche et située à seulement quelques mètres du campement. Mais chemin faisant, Léo dit être fatigué et décide de faire demi-tour. À partir de cet instant, on ne le reverra plus.
Le mystère est complet, d’autant plus qu’on imagine mal un prédateur enlever et tuer un enfant dans cet endroit si éloigné de tout et surtout si peu accessible.
Les jours suivant la disparition, la montagne et ses alentours sont entièrement ratissés, le lac est sondé par une équipe de plongeurs professionnels, sans succès.
Pour les gendarmes de Val-d’Isère, impossible de déterminer les causes de cette énième disparition dans un cadre aussi éloigné de toute forme de « civilisation ». Le fait le plus curieux est qu’il est, en général, rare de croiser des enfants en bas âge en compagnie d’alpinistes dans ce genre de circuits « sauvages » si peu adaptés.
Malgré les importants moyens déployés, le corps du petit Léo Balley ne sera jamais retrouvé à l’instar de celui de Ludovic Janvier, Philippe Pignot ou encore Shahrazade Bendouiou.
Le 24 novembre 1996, un nouvel enlèvement a lieu à Voreppe et fait pour victime la petite Saida Berch, dix ans. Son corps sans vie est retrouvé deux jours plus tard dans un canal, étranglée.
Au total, depuis le début des années quatre-vingt, l’Isère fait le décompte de onze disparitions d’enfants. Parmi elles, sept ont été retrouvés morts tandis que quatre ont été déclarés introuvables. Au milieu de ce triste palmarès, seul Grégory Dubrulle a survécu.
Du côté de la justice, c’est une autre paire de manches. Refusant obstinément de faire le lien entre les différentes affaires, le parquet de Grenoble a du mal à admettre la ressemblance frappante qui relie les différentes affaires. L’éventualité d’un tueur itinérant, bien que très probante, a du mal à passer chez les magistrats. En effet, pour eux, les tueurs en série sont uniquement du ressort des sociétés anglo-saxonnes dépravées et intoxiquées, il est donc impossible que la société française puisse dissimuler ce genre de dépravés sexuels en son sein.
Même refrain chez les familles des victimes qui n’arrivent pas à faire le rapprochement entre les disparitions et placent toute leur confiance dans la justice. La seule, selon elles, en mesure de résoudre cette énigme et de punir le ou les coupables.
En 1998, l’impensable se produit lorsque le procureur général du parquet de Grenoble donne l’ordre de détruire le squelette découvert le 23 mai 1985 dans cette grotte du Vercors. Une aberration judiciaire aussi incompréhensible que scandaleuse. En guise de réponse, le procureur se défendra des années plus tard en prétextant qu’il était impossible de faire autrement, compte tenu de l’absence de banque génétique à cette époque, seule en mesure de définir si, oui ou non, ces ossements appartenaient bien au petit Ludovic Janvier.
La justice iséroise ne se contentera pas de cela. En 1999, onze autres cadavres d’enfants non identifiés connaissent le même sort.
Au début de l’année 2000, la fratrie Janvier, qui vient de perdre son père, demande au parquet de Grenoble à récupérer le document judiciaire attestant que leur frère a bien été enlevé en 1983. La réponse ne se fait pas trop attendre : « Nous avons le regret de nous annoncer que le numéro de dossier untel a été perdu. »
Un véritable coup de massue, aussi bien pour la mère que pour les autres enfants.
« Notre frère réduit à un simple numéro d’archive, comme s’il n’avait jamais existé auparavant, comme si sa vie ne valait rien. Pour nous, c’est comme si Ludovic avait disparu pour une deuxième fois. » raconte Virginie Janvier.
Il faudra attendre le début des années 2000 pour que les choses commencent un tout petit peu à bouger.
Avec l’avènement d’internet, certains proches des disparus ont commencé à mener leur propre enquête, allant jusqu’à payer des détectives privés et écumer les archives nationales. C’est d’ailleurs le cas de Fairouz Bendouiou, la sœur aînée de Shahrazade disparue en 1987. À force de ténacité, elle parvient à faire ré-ouvrir trois des dossiers classés sans suite avec l’aide de quelques avocats, bouleversés par son obstination et sa volonté à faire éclater la vérité au grand jour.
Pendant des mois, Fairouz Bendouiou fait le tour des bibliothèques, consulte les archives sur les enfants disparus dans le département de l’Isère mais aussi celui des prédateurs sexuels qui ont sévi à l’époque dans la région de Grenoble.
En 2003, elle contacte la célèbre journaliste d’investigation Djami Chêne dans le cadre d’un appel à témoins. La journaliste se rend compte, scandalisée, que la famille de Shahrazade n’est pas en possession du dossier de la disparition de leur fille et que quelques articles découpés çà et là dans les journaux de l’époque constituent les seules preuves qui attestent qu’elle a bel et bien disparu le 8 juillet 1987.
Djami Chêne, munie de ces quelques pièces de papier, contacte le commissaire chargé des disparitions au niveau national. Confronté à Fairouz, ce dernier déclare d’une voix blanche que le dossier a été classé sans suite, faute de preuves, et que les recherches ont été abandonnées dans ce sens depuis la fin des années quatre-vingt.
Invitée sur un plateau télé par la journaliste, qui a depuis fait de cette affaire son combat personnel, Fairouz Bendouiou n’est pas au bout de ses surprises lorsqu’elle apprend que juste après la disparition de sa sœur, une instruction judiciaire a été ouverte à ce propos avant d’être rapidement refermée quelques jours plus tard.
Terrassée par cette dernière nouvelle, dépassée par les événements, la jeune femme décide de tout abandonner. Pourtant, elle tente une dernière tentative en 2007, en allant frapper à la porte du cabinet d’avocats Didier Seban, Corinne Herrmann et associés à Paris. Elle ne le sait pas encore, mais la chance va lui sourire enfin.
Rapidement, ces deux avocats chevronnés et uniques dans leur genre en France prennent les choses en main. Loin de se contenter d’effectuer leur métier de façon linéaire et classique, ils effectuent conjointement un véritable boulot d’enquêteurs, voire de détectives. D’ailleurs, leur cabinet se spécialise aussi dans l’investigation et l’enquête privée, un peu dans cette mouvance américaine de bâtonniers polyvalents et touche-à-tout.
En parcourant les documents récoltés pêle-mêle par Fairouz Bendouiou, Corinne Herrmann et Didier Seban sont horrifiés de constater que la justice ne s’est pas donnée la peine, depuis toutes ces années, de constituer un dossier en bonne et due forme et que les recherches ont été complétement abandonnées au bout d’un an seulement.
« On n’a jamais su que le dossier a été fermé en 1988. Personne n’a appelé ni pris la peine de venir voir mes parents pour leur dire “voilà, les recherches ont été abandonnées”, on s’est contenté de nous donner cette fausse illusion que le travail était effectué et que les recherches suivaient leur cours. » déplore la jeune femme aujourd’hui.
Les deux avocats, habitués à ce genre de défi, ne baissent pas les bras pour autant et ce, malgré l’inertie de la justice et le manque de coopération du parquet de Grenoble.
Au fur et à mesure de leurs recherches, ils découvrent que Shahrazade n’est pas un cas isolé, que d’autres enfants ont disparu comme elle, à une ou deux années d’intervalle dans la même région et dans un rayon de soixante-dix kilomètres entre les années quatre vingts et quatre vingt seize.
Au terme de cette macabre découverte, c’est un véritable parcours du combattant qui est engagé par les deux avocats, qui veulent à tout prix lever le voile sur cette série noire qui ne semble plus émouvoir grand monde et qui ne fait plus parler d’elle depuis des années.
À elle seule, Corinne Herrmann effectue un travail de titan : elle dresse une liste de tous les cas isolés des autres disparus et pour la toute première fois, cette liste se voit attribuer un nom : les enfants disparus de l’Isère.
Dans la foulée, l’avocate réussit à retrouver la trace de plusieurs familles des enfants, toutes vivant encore à Grenoble et ses environs. Grâce à elle, beaucoup de familles se mettent en lien, notamment les Janvier qui se lient rapidement avec Fairouz Bendouiou. Pour la première fois, parents, frères et sœurs, grands-parents, amis des disparus ne se sentent plus négligés et projetés face à un mur de silence.
En 2008, soit vingt ans après les faits et grâce aux efforts intenses du cabinet d’avocats parisiens, le parquet isérois accepte finalement de rouvrir les dossiers et de relancer l’enquête. Au printemps de la même année, une cellule spéciale baptisée « Mineurs 38 » voit finalement le jour, regroupant plusieurs enquêteurs, profileurs, médecins légistes, psychologues et criminologues, dont le devoir est de reprendre à zéro les enquêtes abandonnées et vérifier les failles qui ont conduit au classement de nombreux dossiers.
Grâce à tous ces efforts mis en commun, deux affaires ont pu être résolues. En 2013, grâce à un prélèvement ADN exploité sur le tard, un individu du nom de Georges Pouille est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de Sarah Siad en 1991 et de Saida Berch en 1996.
L’affaire des enfants disparus de l’Isère reste l’un des cold cases à la française ayant fait le plus de bruit ces trois dernières décennies. À part les cas qui ont pu être résolus, les autres restent toujours une énigme.
À ce jour et malgré l’importante avancée en termes de médecine légale et d’expertise ADN, il est toujours difficile de mettre un visage sur celui ou ceux qui ont généré la terreur dans les banlieues de Grenoble dans les années quatre vingts.
Aujourd’hui âgé de 46 ans, Grégory Dubrulle, seul survivant de ce carnage, s’est depuis converti à l’islam. Fervent pratiquant, marié et père de trois enfants, il vit toujours à Grenoble. Interrogé dans le cadre de reportages sur le sujet, il dit se sentir enfin en paix avec son passé grâce à la foi qui lui a sauvé la vie lorsqu’il était au bord du gouffre et en proie à diverses addictions, comme les drogues dures.
De son côté, Fairouz Bendouiou, qui a fait de la disparition de sa sœur son combat quotidien depuis trente ans, refuse de baisser les bras et a l’intime conviction que la vérité finira par éclater au grand jour. Aujourd’hui, elle vit dans un village des Hautes-Alpes en compagnie de ses quatre enfants qu’elle couve énormément.
Les sources :
- Le scandale des disparus de l’Isère
- Disparus de l’Isère
- Les disparus de l’Isère, le point sur l’enquête
- Disparus de l’Isère : « il faut chercher encore » !
- Affaire des disparus de l’Isère
- https://www.marieclaire.fr/affaire-ludovic-janvier,1261315.asp
- Disparus de l’Isère : histoire d’un dossier perdu, oublié et enfin rouvert
- « Mon agresseur a voulu me tuer »
- Férouze Bendouiou, une vie passée à chercher sa soeur, disparue de l’Isère
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