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A la fin des années 70 dans le département de l’Yonne, sept jeunes femmes disparaissent sans laisser de trace. Pour leur entourage cela ressemble à une fugue, elles ont sûrement pris le large pour x raison ! Alors, personne ne se donne la peine de les chercher, ni d’aviser la gendarmerie.
Il faut dire que les disparues n’ont jamais eu la vie facile : issues de familles dysfonctionnelles ou en difficultés financières, souffrant de handicap mental, elles ont été placées dans l’un des foyers de la DDASS de la région d’Auxerre, l’APAJH.
Un seul homme pourtant s’intéressera à leur cas, un gendarme, Christian Jambert, qui fera de leur disparition une affaire personnelle. Loin de lui faciliter la tâche, les administrations et les institutions se dresseront toutes contre lui. Très vite, Jambert va se heurter à une omerta généralisée, et verra les portes lui claquer au nez les unes après les autres ! On le prend même pour un fou, un halluciné qui a inventé cette histoire de disparition de toutes pièces !
Source : leparisien
Mais alors que l’enquête est remise au goût du jour 20 ans plus tard, l’improbable se produit : Jambert est retrouvé mort à son domicile. Un suicide maquillé en meurtre ou l’inverse ? Grand mystère !
Dans cette affaire auréolée de non-dits et de secrets, faire parler les personnes est une tâche pénible ! Mais alors que l’enquête tourne en rond et risque d’être classée, l’ombre d’un présumé coupable commence enfin à se manifester. La nouvelle fait l’effet d’une bombe ! Le coupable, ce bonhomme si paternel, si protecteur, si sympathique ! Qui l’aurait cru ?
C’est ce que je vous propose de découvrir dans la mystérieuse affaire des « Disparues de l’Yonne ».
Nous sommes à Auxerre ce 20 février 1980. Le gendarme Christian Jambert, la quarantaine, pousse finalement un soupir de soulagement. Le juge d’instruction lui a enfin donné son accord pour prendre en charge un dossier qui lui tient à cœur depuis la fin des années 70. Un dossier épineux concernant la disparition mystérieuse d’une jeune femme de 23 ans, Sylviane Lesage. On raconte qu’elle a disparue vers 1976 ou 1977 et qu’elle provient d’un des foyers de la DDASS de la région.
Dès le départ, ce gendarme d’un naturel sérieux et obstiné se sent comme impliqué personnellement dans cette investigation. Issu lui-même de la DDASS où il a passé toute son enfance et une partie de son adolescence, Jambert ne peut être que le mieux placé pour comprendre la situation.
Les rumeurs au sujet de la disparue vont bon train : Sylviane Lesage a la réputation d’avoir la cuisse légère, qu’elle fréquente beaucoup d’hommes ; ça, tout le monde le sait dans le village de Rouvray où elle vit chez sa nourrice avec trois autres filles issues comme elle des foyers d’accueil, mais ce n’est pas une raison pour ne plus donner de nouvelles !
Tout porte à croire qu’elle vient de fuir avec un amant, un homme qu’elle a rencontré sur le chemin de l’école ! Fuir avec un homme ? Difficile de le croire quand on sait que la jeune femme souffre d’une déviance mentale.
Le gendarme Jambert sait également tout . Les directeurs des foyers, eux, ne veulent rien entendre : Sylviane était déjà majeure au moment de sa disparition donc tout à fait libre d’agir comme bon lui semble !
De plus, la DDASS ne peut pas résoudre tous les problèmes de la terre, ne peut pas faire « le suivi » de chaque jeune qui quitte le foyer à sa majorité, ne peut pas prendre en charge des filles déjà en âge de se marier et de travailler !
En d’autres termes, si Sylviane a choisi de disparaître, c’est de son plein droit citoyen et même la police ne peut aller la rechercher. Sa maladie, elle, n’est même plus prise en considération ! D’ailleurs, qui s’y intéresse à son handicap mental ?!
Furieux, déçu et dégoûté par tant d’indifférence de la part de l’institution, le gendarme décide de faire cavalier seul. Il se fait un serment : retrouver Sylviane et la ramener chez sa nourrice, peu importe le temps que cela prendra et les circonstances dans lesquelles cela se déroulera !
Et le temps commence à passer. Un an plus tard, le 5 juillet 1981, un agriculteur de la petite commune rurale de Rouvray, au nord d’Auxerre, se réveille aux aurores comme de coutume à la campagne. Ce matin-là, il doit dégager un tas de fumier entassé depuis hier devant sa grange. Alors qu’il s’approche des enclos, il croit apercevoir quelque chose qui dépasse du monticule de fumier. Une branche ? Un morceau de bois ? Un… os ? il s’approche davantage et constate qu’il s’agit bien d’un os humain. Paniqué, l’homme saisit sa fourche et se met à enlever frénétiquement le tas de fumier en le projetant dans tous les sens, la gorge serrée à l’idée de ce qu’il va découvrir en dessous.
Effectivement, là, tout en bas, se trouve un cadavre. A première vue, il s’agit sûrement d’une femme. Le paysan sent ses jambes se dérober sous lui tant sa frayeur est grande.
Il court prévenir les gendarmes et revient avec eux sans tarder. Christian Jambert est là, à la tête des opérations. Les premières constatations font état d’un cadavre de femme, dans la vingtaine, bâillonnée avec une culotte et dans un état de décomposition avancée. Toute identification s’avère alors impossible tant le corps ne ressemble plus à rien. Le cadavre inconnu est alors envoyé à la morgue en attendant que l’enquête soit officiellement ouverte.
De retour dans les locaux de la gendarmerie d’Auxerre, Jambert commence à dresser une fiche signalétique du corps anonyme. Il ne sait pas pourquoi mais son intuition lui dit que la disparation de Sylviane Lesage pourrait avoir un lien avec ce que lui et ses collègues viennent de voir ce matin dans la grange du paysan de Rouvray.
Jambert commence ses investigations et découvre qu’elles ne sont pas une, mais bien plusieurs à avoir disparu entre 1977 et 1979. Elles ont pour point commun le foyer de la DDASS où elles ont vécu depuis leur enfance et leur déficience mentale à degrés différents.
Après de longues recherches, il trouve enfin leurs noms : Chantal Gras, Madeleine Dejust, Martine Renault et Jacqueline Weiss, sans compter les sœurs Lemoine, âgées de 16 et 27 ans au moment de leur disparition, et bien sûr celle qu’il cherche depuis le début, Sylviane Lesage.
Le gendarme reçoit la permission d’ouvrir une enquête à grande échelle. Il retrouve la trace des familles d’accueil et des tutrices chez qui les jeunes filles ont trouvé refuge à leur sortie de la DDASS. Toutes d’ailleurs habitent la même zone du nord d’Auxerre et toutes sont formelles : leurs protégées se sont évaporées du jour au lendemain, sans emporter d’effets, sans argent, sans affaires de rechange et sans un seul bagage hormis leur sac à main.
Avant le cas de Sylviane Lesage, celui tout aussi mystérieux de Chantal Gras revient à la mémoire du gendarme. C’est d’ailleurs sa nourrice qui est venue alerter ses collègues de la gendarmerie à la fin des années 70, lorsque Chantal est partie de la maison sans jamais plus revenir.
À cause d’un manque flagrant d’éléments permettant d’ouvrir une investigation, les choses n’ont jamais abouti et la situation est restée ainsi jusqu’à la découverte du cadavre de Rouvray.
Durant ses précédentes recherches, le gendarme découvre aussi qu’aucune des filles n’est mariée, et qu’à part Françoise Lemoine, qui a un enfant de son côté, les cinq autres sont toutes célibataires et n’ont jamais eu de relation sentimentale connue.
Un personnage va vite attirer l’attention de Christian Jambert : le chauffeur du bus scolaire qui a l’air de bien connaître les disparues. C’est d’ailleurs l’ami de ce dernier, un certain Jacques Moreau, propriétaire d’un commerce d’alimentation à Auxerre, qui le mentionne la première fois au gendarme.
Jambert ne perd pas une minute pour aller le questionner. L’homme répond aimablement et donne son emploi du temps : il s’en va chaque jour chercher les filles chez leurs nourrices ou dans l’un des foyers de l’APJH pour les emmener dans les centres où elles font des formations professionnelles, et chaque soir après la sortie des cours, il refait le même trajet inverse pour les redéposer chez elles.
On lui donnerait le bon dieu sans confession à ce chauffeur, qui a l’air d’être un brave gars, d’ailleurs c’est ce que tout le monde pense de lui ! Ce chauffeur, c’est Emile Louis, un homme de quarante-sept ans, employé chez l’agence de transport « Les Rapides de Bourgogne ».
Dès le départ, Christian Jambert, qui se fie beaucoup à son intuition, « ne le sent pas », et ce malgré son abord gentil, inoffensif et sympathique. Emile Louis a une bonne bouille, des cheveux grisonnants, le sourire facile et engageant, s’exprime avec l’accent de la région et ses phrases sont simples, carrées, modestes, tout comme sa personne. Durant tout l’interrogatoire, Emile Louis a le regard fuyant et évite soigneusement de croiser celui de Jambert lorsqu’il lui adresse la parole.
Source : marieclaire
Au fur et à mesure de leur discussion, le gendarme flaire quelque chose, sent qu’il y a anguille sous roche, que Emile Louis lui cache sûrement quelque chose et qu’il en sait beaucoup plus qu’il ne veut lui faire croire !
Même sans preuve à l’appui, Jambert le suspecte d’être derrière le cadavre trouvé dans le tas de fumier quelques jours plus tôt et c’est avec regret qu’il le laisse partir quand l’interrogatoire touche à sa fin et qu’il lui tend le papier de la déposition à signer.
Les jours suivants, le gendarme poursuit ses investigations auprès du voisinage.
Les premiers témoignages appuient alors ses soupçons : le chauffeur du bus était bien là le jour où Sylviane Lesage a disparu, il est par conséquent le dernier à l’avoir vue vivante.
Plus étrange encore, on raconte que cet homme déjà d’âge mûr et cette fragile jeune fille semblent bien s’entendre de façon sans équivoque et provocante, ne se cachaient jamais, allant même jusqu’à flirter régulièrement au vu et au su des habitants du village. D’après eux, Sylviane avait l’air de bien connaître Emile Louis et d’apprécier ses attentions, ceci à l’insu de la femme et de la maîtresse de ce dernier, réputé dans toute la contrée pour courir plusieurs conquêtes féminines à la fois.
Jambert se rend chez le juge d’instruction du parquet d’Auxerre, le dossier d’enquête préliminaire dans les mains. A sa grande déception, le magistrat refuse formellement d’incriminer Emile Louis sur la base de témoignages et de ragots recueillis lors d’une simple enquête de voisinage. Il lui faut plus de preuves, au moins un élément concret à présenter.
Jambert lui parle alors du cadavre trouvé à Rouvray, mais le juge balaye ses affirmations d’un simple geste de la main. Sans véritables preuves à l’appui qui attesteraient de la culpabilité du chauffeur de bus, il ne peut pas l’écrouer ; la loi le lui interdit.
Hormis le cadavre et quelques témoignages oculaires qui se contredisent, Jambert n’a rien, il ne peut même pas compter sur la médecine médico-légale, elle-même novice en matière de dépistage. Les prélèvements ADN, à cette époque, n’en sont pas encore à leurs balbutiements.
Personne ne sait les exploiter ! Les laboratoires commencent à peine à réaliser timidement leurs premiers essais cliniques ; et suivant une vieille tradition un peu archaïque, la gendarmerie de province dédaigne recourir aux nouvelles expertises scientifiques à l’américaine pour pister les criminels et les violeurs !
Pourtant, visionnaire, Jambert demande aux médecins légistes de faire subir un examen dentaire au cadavre de la grange. Entretemps, il récupère le dossier médical de Sylviane Lesage afin de pouvoir faire le rapprochement avec les résultats du laboratoire. Et cela paye ! Les preuves sont unanimes : les deux correspondent parfaitement. Le cadavre trouvé chez le paysan est bien celui de Sylviane Lesage. Jambert tient là une preuve en or, c’est ce juge d’instruction qui va l’entendre !
Fin décembre 1981, peu avant le nouvel an, Emile Louis est enfin placé en garde à vue et mis en examen pour le meurtre de Sylviane Lesage.
L’homme s’insurge, nie toute implication dans l’assassinat de Sylviane, autant que pour celui des autres disparues ! Il confesse cependant les relations sexuelles avec Sylviane de son vivant, raconte qu’il a toujours été attiré par les jeunes adolescentes, que c’est une question de pulsion sur laquelle il n’a pas de contrôle, même en ayant recours à des traitements prescrits par des sexologues et des thérapeutes ! Oui il a été faible mais pas au point de tuer !
Malgré ces aveux, il passe devant la cour de justice et est condamné à cinq de prison, réduite par la suite à quatre ans avant de déboucher finalement sur un non-lieu pour manque de preuves. En 1984, Emile Louis est remis en liberté et part s’installer dans la région de Draguignan puis à Fréjus dans le Sud de la France, où il loge dans un mobil home.
De son côté Christian Jambert enrage : tous ses efforts pour prouver la culpabilité du suspect aboutissent à un échec ! A cause de son obstination, il a aussi réussi à se mettre à dos la magistrature et le Parquet, fatigués de l’entendre ressasser cette improbable « affaire des disparues de l’Yonne » qui ne tient pas debout !
Pour tous, Jambert est un gendarme zélé et obsessionnel, trop fier pour écouter les ordres de ses supérieurs, suffisamment têtu pour n’agir qu’à sa guise, et ayant assez de culot pour refuser une décision de justice pourtant claire !
Loin de recevoir le soutien de ses collègues de la gendarmerie, Jambert ne récolte au passage que raillerie et moqueries. On moque son obstination de paysan et sa pugnacité dans une affaire qui, finalement, n’intéresse pas grand-monde et ne fait pas couler d’encre ! Le dossier est clos et c’est tant mieux ainsi !
D’ailleurs, le sort même de ces filles issues du ban de la société, vivant de la générosité du système social, enfants déviantes, abandonnées à la naissance, placées, n’intéresse pas plus. Pour les gens, elles ne sont que des bouches de moins à nourrir pour l’État et de l’argent en moins à verser à la sécu !
Chercher à connaître le « pourquoi du comment » ne ferait que remuer certaines choses sur lesquelles tout un système judiciaire préfère fermer les yeux !
Pendant ce temps, alors que le dossier du chauffeur d’Auxerre vient à peine d’être bouclé, une seconde affaire tout aussi sordide de réseau de prostitution éclate dans la même région. Les mis en cause sont cette fois-ci un couple, les Dunand, arrêtés et inculpés en 1984 pour proxénétisme, commercialisation de vidéos à contenu pédophile, et exploitation de mineures à des fins sexuels.
Coïncidence d’autant plus étrange encore, leurs « recrues » sont toutes des filles issues de la DDASS. Mais ils sont vite écartés de l’affaire des disparues. Ce sont à la fois trop d’éléments qui concordent, trop d’affaires qui se ressemblent et qui, au final, ne se rejoignent pas !
Nous sommes à présent en 1985, soit un an plus tard.
L’ « affaire des disparues de l’Yonne » est désormais une affaire classée, et ce depuis la libération de l’unique suspect, Emile Louis.
Nous sommes à l’APJH, un des foyers relevant de la DDASS de la région d’Auxerre. Ici sont placés les enfants des deux sexes, d’âge et de provenance différents, séparés dans des bâtiments distincts.
Généralement, ils sont tous issus de familles en difficulté et ce sont les assistantes sociales qui sont venus un jour les retirer à leurs parents ou tuteurs légaux.
Ces enfants-là ont parfois des frères et sœurs placés dans le même foyer qu’eux, ou ailleurs dans d’autres institutions. Les plus chanceux sont placés directement chez des familles où ils peuvent avoir une vie plus au moins normale avec deux parents, certes étrangers à leur famille, mais au moins dans un semblant de cocon familial.
D’autres n’ont jamais connu leurs géniteurs, car abandonnés directement à la naissance par leurs mères biologiques, incapables de s’en occuper. Ceux-là souffrent moins, ils vivent sans souvenir particulier d’une précédente maison.
Et puis il y a les autres, ceux que les encadrants et les employés du foyer font mine d’ignorer, ceux considérés comme incurables car nés avec des déviances mentales qui les différencient des autres enfants.
A cette époque, c’est-à-dire la deuxième moitié des années 80, l’approche que l’on a du handicap mental est encore très mitigée au point que même les parents en conçoivent de la honte. La présence d’un enfant attardé dans la famille, surtout dans les milieux ruraux et défavorisés, est alors perçue comme quelque chose de dysfonctionnelle et de fatal, une menace pour l’équilibre d’un foyer !
Au lieu d’être en contact avec les autres résidents, on a pris l’habitude de cloisonner et d’enfermer ces « enfants spéciaux », les tenant éloigner des autres et de la vie en dehors des murs de l’institution. Ils ne sont pourtant pas toujours à l’abri à l’intérieur quand on sait ce qui passe parfois dans ces foyers : on évoque à demi-mots quelques cas de viols par-ci, d’abus sexuels par-là, sur des filles mais aussi bien des garçons, de la part des membres du personnel censé les protéger.
Les jeunes filles souffrant de handicap à différents degrés sont les premières cibles des pervers en blouse blanche, sous les traits d’encadrants et d’auxiliaires de vie. Ces monstres savent qu’ils ne seront jamais trahis par leurs victimes, car ils ont pleinement conscience que même si le besoin leur vient de les dénoncer, personne ne les croira, ni leurs nourrices du village qui prennent le relais, ni les assistantes sociales submergées de travail, ni les directeurs qui ne songent qu’à garder leurs postes respectifs !
Pour Pierre Monnoir, jeune homme reconverti en chef de famille depuis la mort de ses parents, l’année 1985 est une année décisive ! Il se trouve dans la délicate position et dans l’obligation urgente de placer son frère cadet dans un foyer relevant de la DDASS.
Source : 20minutes
Son frère aussi fait partie de ces enfants à besoins spécifiques, il est handicapé mental, et a longtemps souffert à l’école à cause de cela. Le harcèlement et les méchancetés dont il fait incessamment l’objet l’empêchent de poursuivre un cursus scolaire normal.
Pour Pierre, cette décision est aussi difficile que douloureuse. A-t-il seulement le choix à présent ? Mais à son plus grand soulagement, la redoutable séparation qu’il a tant appréhendée depuis des semaines et déjà préparée et répétée mentalement des milliers de fois, a été plus facile qu’il ne l’aurait cru !
Pierre revient régulièrement rendre visite à son petit frère, lui apporte des affaires et des petits cadeaux, voit s’il s’habitue à « sa nouvelle maison », vérifie qu’il ne manque de rien, se promène avec lui dans le parc de l’institution, parle aux autres parents d’accueil, tuteurs et cadres médicaux et administratifs du lieu. Tout le monde semble satisfait des soins et de l’attention prodigués aux enfants qui résident ici, le personnel est sur le pied de guerre tous les jours et veille à chaque détail !
Malgré les sourires et les petites tapes d’encouragement, les élans de sympathie, les chaleureuses et indulgentes poignées de main échangées, Pierre sent qu’une atmosphère particulière règne dans cet endroit. Une atmosphère malsaine qu’il n’arrive pas à décrire !
Quand il rentre à la maison après ces visites hebdomadaires et qu’il en parle à sa femme, elle le taquine sur le fait qu’il a tendance à se montrer trop protecteur et possessif envers ce frère malade par devoir fraternel. Elle le rassure sur le fait que les enfants là-bas sont à l’abri du monde extérieur qui refuse de les intégrer à son système et que les personnes qui s’occupent d’eux ont pour la plupart une longue expérience dans le domaine.
Le discours de son épouse est léger et terre à terre, tout ce qu’il a besoin d’entendre. Sauf qu’il ne s’y résout toujours pas !
Ses visites suivantes lui donnent la certitude qu’il a bien raison d’avoir le cœur serré dès qu’il pénètre dans les murs de l’APJH.
— Vous êtes sûrement au courant pour les filles disparues il y a quelques années de cela ? Elles étaient toutes d’ici !
— Disparues ? Mais comment ?
— En quittant le bus scolaire un soir, d’après ce qui se raconte, leurs tutrices les attendaient à la maison, en vain ! Elles étaient dans tous leurs états en ne les voyant pas revenir !
— Elles ne sont jamais rentrées ?
— Jamais !
— Mais, les flics sont sûrement au courant ? Ils ont ouvert une enquête ! Non ?
— C’est sûr qu’une instruction a été ouverte, mais vous savez, entre nous, ça n’a pas trop ameuté grand monde par ici…
En quittant son frère ce soir-là pour rentrer chez lui, Pierre Monnoir a toujours dans l’oreille les propos entendu quelques heures plus tôt. Des filles disparues mystérieusement ? Quand cela ? Pourquoi ? Qui peut bien être le responsable ?
Il sent qu’on ne veut pas lui en dire plus. Les jours suivants, il ne repense plus qu’à ces filles, à tel point que cela tourne à l’obsession. Alors, il décide de mener lui-même ses investigations, partant du principe du devoir humain. C’est qu’il a été élevé comme ça, Pierre Monnoir, avoir toujours de l’empathie pour plus malheureux que soit et offrir son aide aux plus vulnérables.
Chaque jour, profitant de son travail de représentant en pâtisserie qui lui permet de faire des trajets en long et en large dans toute la région auxerroise, il va frapper chez les gens pour sa petite enquête personnelles. Pourtant à chaque fois, c’est des mines figées et des paroles réprimées qui lui sont servies en guise de réponses.
Les gens savent mais ne veulent pas dire et s’énervent quand il insiste. Pourquoi cette omerta ? Il croit détenir un élément de réponse : le sujet dérange et y toucher équivaut à bouleverser la structure d’une sacro-sainte institution française : l’œuvre sociale.
À mesure que les questionnements de Monnoir deviennent insistants, les invitations à rebrousser chemin se font sans le ménager davantage !
À plusieurs reprises, il est même mis carrément à la porte des foyers relevant de l’APJH d’Auxerre. Ni les assistantes sociales, ni les auxiliaires de vie, ni les directeurs des institutions ne consentent à lui adresser la parole, ou changent radicalement de sujet quand ils sentent qu’il les entraîne dans un terrain vaseux.
Tout comme le gendarme Jambert, Pierre Monnoir est même ridiculisé et traité d’idiot, de fou et de paranoïaque.
Dans la foulée, il apprend qu’une sordide affaire de viol impliquant l’un des directeurs de l’APJH, pris en flagrant délit avec une jeune fille, vient d’avoir lieu dans le même foyer où son petit frère est placé. La nouvelle a l’effet d’une bombe ! Le directeur pour se décréditer, raconte qu’il voulait juste faire une introduction sexuelle à cette jeune femme de 22 ans complétement ignorante du domaine affectif, et que ce besoin est tout à fait légitime. Il finit par écoper de six années de réclusion criminelle.
Cette affaire est la goutte qui fait déborder le vase et renforce un peu plus Pierre Monnoir dans ses convictions : ces enfants handicapés mentaux ne sont pas du tout l’abri dans ces structures, bien au contraire !
Malgré tout le remue-ménage généré par cette scandaleuse affaire, la vie quotidienne a repris son droit au sein des foyers et on n’a plus jamais évoqué le directeur pervers, ni ne s’est intéressé au sort de sa victime remise depuis peu sous la garde d’une nourrice à domicile.
Scandalisé par la tournure des choses, Pierre Monnoir fait une dernière tentative hasardeuse. En homme de son époque, il connaît le pouvoir que peuvent exercer les médias sur l’opinion publique, notamment la télévision, et c’est la gorge serrée qu’il pénètre un beau matin de 1995 dans les locaux de la chaîne TF1.
Que vient-il faire ici ? Il espère parler à l’un des producteurs de la célèbre émission « Perdu de vue » spécialisée dans la recherche des personnes disparues.
Pierre Monnoir sait qu’il joue là sa dernière carte et tient à en tirer le maximum. Et puis, s’il ne réussit pas, il aura au moins tenté quelque chose, ce n’est pas comme ne rien faire du tout.
Les producteurs de l’émission, qui tient chaque mois en haleine les dix millions de téléspectateurs fidèles qui ne ratent pas un épisode, peuvent se vanter d’être programmé en première partie de soirée. Et pour cause, « Perdu de vue » a rencontré depuis sa toute première sortie d’antenne, en 1990, un succès grandissant, succès dont peuvent rarement se targuer les programmes de cette nature.
Grâce au travail d’investigation mené indépendamment par les producteurs, des centaines de familles ont pu retrouver des proches disparus et n’ayant plus donné de nouvelles, des fugueurs ont également refait surface après des années d’absence, et l’émission reçoit mensuellement près de 3 000 courriers et coups de fil de remerciements.
Pierre Monnoir a frappé à la bonne porte cette fois-ci et il va tout de suite en avoir confirmation. Le premier journaliste qui vient à sa rencontre est le tout jeune Stéphane Munka, interloqué de trouver quelqu’un qui n’appartient pas « au domaine », debout au beau milieu de leurs locaux !
Sans se démonter, Pierre Monnoir entre directement dans le vif du sujet : il a besoin de leur aide, seuls eux, les médias, peuvent faire quelque chose. Il faut que les gens sachent qu’il y a eu une grave affaire de disparition de jeunes filles placées dans des foyers de la DDASS d’Auxerre en 1977, et que tout le monde s’acharne à fermer les yeux et fait la sourde oreille depuis bien trop longtemps ! Cette omerta ne peut plus durer dans un État de droit et un pays civilisé comme la France !
Jacques Pradel, le présentateur de l’émission, vient le voir en personne. Ils discutent et les producteurs se mettent d’accord pour ouvrir leur propre enquête sur le sujet. Une première ! Jamais encore quelqu’un n’est venu les aborder directement à la chaîne pour dénoncer un fait.
Pour cela, les caméras de TF1 vont se déplacer dans la région de l’Yonne, dans les communes rurales de Villefargeau, à Rouvray, à Aigremont, à Charbuy, à Moneteau, partout où ils peuvent récolter des témoignages susceptibles de les aider dans leurs investigations. Le journaliste Stéphane Munka parvient à décrocher un rendez-vous avec le directeur de l’APJH mais ce dernier refuse de répondre aux questions et invite Munka à ne plus jamais remettre les pieds dans l’établissement.
Même constat auprès des gendarmes, des commerçants, de la justice même, tout le monde refuse de parler, ou l’on se contente de dire que ce sont des rumeurs alimentées par des paranos, qu’il n’y a pas lieu de disparition, que même si c’est le cas, ces filles ont dû sûrement fuguer comme le font des centaines d’autres personnes en France chaque a née !
Pour le moment, l’équipe de l’émission possède seulement des informations sur quatre des sept disparues : Christine Marlot, Chantal Gras, Madeleine Dejust et Bernadette Lemoine.
Incapable de trouver des éléments de réponse à leur enquête, l’équipe de télévision décide de rentrer à Paris.
Source : parismatch
Pour les journalistes et producteurs de « Perdu de Vue », cette histoire est auréolée de beaucoup de mystères : comment personne ne s’est-il rendu compte de l’absence de ces quatre filles depuis 1977 ? Pourquoi leur nom a-t-il été rayé des registres de l’APJH ? Comment ont-elles pu organiser un plan d’évasion sans commettre d’impair et dans la discrétion la plus totale, alors que toutes sont lourdement handicapées mentales ? Pierre Monnoir a raison, plusieurs éléments ne concordent pas ! Stéphane Munka sent que quelque chose de bizarre entoure cette affaire.
Dans cet état d’esprit, il retourne les semaines suivantes dans la région de l’Yonne et endosse la lourde tâche d’aller à la recherche des familles des disparues. Cette fois-ci, contre toute attente et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, ses efforts payent enfin !
Le journaliste retrouve par hasard la trace de la nourrice de Chantal Gras, Madame Maudier, une quinquagénaire habitant Villefargeau et chez qui la jeune fille vit depuis 1975, depuis qu’elle a quitté le foyer de l’APJH à sa majorité.
Devant les caméras de TF1, Madame Maudier, très bouleversée, explique comment elle a donné l’alerte à la gendarmerie les jours suivants, qu’elle n’a pas eu de retour, que cela s’est fait de façon très expéditive, comme si personne ne s’intéressait vraiment à ce qu’elle racontait.
Quand Stéphane Munka demande à connaître le déroulement du dernier jour où elle a vu sa jeune protégée, la nourrice raconte :
« Elle est rentrée à la maison vers le coup de 17 h – 17 h 30, elle a posé son sac dans la cuisine et elle est venue m’embrasser. Après elle est sortie faire un tour près de la maison, elle avait l’habitude de le faire chaque jour, elle ne s’éloigne jamais, ce n’est pas son genre, elle écoute toujours mes recommandations ! Vers 18 h je rentre dans sa chambre, croyant la trouver là à faire ses devoirs, pas de Chantal ! 19 h, pas de Chantal ! Passé les coups de 21 h, j’ai commencé sérieusement à m’inquiéter ! ».
Mais le témoignage le plus décisif est relaté par la vraie mère de Chantal, Gisèle Gras :
« Vous savez, le chauffeur m’avait prévenue ! Il m’a dit : “Vous verrez Gisèle, quand votre fille aura 18 ans, elle partira !” ».
Le chauffeur, mais quel chauffeur ? Le chauffeur du bus scolaire, le mystérieux Emile Louis, celui qui est dans la ligne de mire des autorités depuis le début de cette affaire, l’assassin présumé de Sylviane Lesage !
Sans plus attendre, Stéphane Munka contacte la gendarmerie d’Auxerre et là, l’invraisemblable se produit : l’homme qu’il recherche est connu des annales judicaires depuis la fin des années 70, il y a même un gendarme du nom de Jambert qui n’a pas cessé une seule fois de révolutionner l’ordre des choses dans cette enquête mise au point mort par décision du Parquet pour le faire écrouer.
À partir de ce moment, les choses commencent à prendre forme, les pièces se mettent petit à petit en place, et quand Stéphane Munka entre directement en contact avec les gendarmes qui conservent le dossier d’enquête préliminaire réalisé par Jambert en 1981, on le lui offre sur un plateau d’argent.
A sa demande, on lui fait même une lecture intégrale du dossier à la façon d’une dictée au téléphone. Durant près de deux heures, Munka prend des notes, mot pour mot, craignant de négliger ou d’oublier quelque chose, n’hésitant pas à faire répéter son interlocuteur à l’autre bout du fil. Le dossier est blindé, il contient des éléments importants, des témoignages, mais aussi des renseignements complémentaires sur les quatre disparues, et contre toute attente, trois autres noms surgissent dans la foulée.
« Attendez, vous voulez dire qu’elles sont sept au total à avoir disparu entre 1977 et 1980 ? »
Affirmatif ! les gendarmes fournissent à Stéphane Munka les trois autres noms, il s’agit de Martine Renaud âgée de seize ans au moment de sa disparition, Jacqueline Weiss âgée de 18 ans, et Françoise Lemoine, 27 ans et déjà mère d’un enfant au moment des faits ! Toutes ont connu Emile Louis, et certaines sont même devenues ses maîtresses.
Le journaliste de « Perdu de Vue » va de surprise en surprise. Les gendarmes lui parlent aussi du cas de Sylviane Lepage dont le cadavre a été retrouvé dans un tas de fumier un matin de 1981 à Rouvray, et comment l’affaire s’est finalement soldée par un non-lieu.
Quand Stéphane Munka referme son calepin, il sait qu’il possède à présent suffisamment d’éléments pour mettre en route le processus de production de cet épisode très controversé et sur lequel cet homme, Pierre Monnoir, semble fonder tous ses espoirs !
Le 25 mars 1996, le numéro de « Perdu de Vue » consacré aux « Disparues de l’Yonne » passe pour la première fois à l’antenne et est suivi par des centaines de téléspectateurs.
Sur le plateau ce jour-là, auprès du présentateur Jacques Pradel, sont également présents Pierre Monnoir et des membres de l’association qu’il a créée entretemps, l’Association de défense des handicapés de l’Yonne, abrégé en ADHY.
L’épisode génère tellement d’intérêt auprès du public qu’il est rediffusé les semaines suivantes, et qu’on lui consacre une suite, sorte de briefing pour vérifier si les appels à témoins émis lors de la première diffusion ont porté leurs fruits.
C’est alors qu’une famille originaire de l’Yonne, les Marlot, prend contact avec la production : leur petite sœur Christine, âgée de quinze ans au moment des faits, a elle aussi disparu sans laisser de tracer au cours du mois de janvier 1977. Auparavant, elle était prise en charge dans un institut médico-éducatif à Auxerre. Comme les autres, elle est handicapée mentale et pas vraiment autonome, pas au point d’organiser toute seule un plan de fugue.
La production de l’émission affiche des portraits grandeur nature des disparues sur les écrans, les mêmes qui sont repris par les journaux les jours suivants. « L’affaire des disparues de l’Yonne » commence pour la première fois à avoir un regain d’intérêt au niveau national. Pendant une année entière, l’émission garde l’affaire « ouverte » dans l’attente de nouveaux rebondissements.
L’improbable se produit en 1997, quand le gendarme Christian Jambert est retrouvé mort à son domicile dans des circonstances assez floues. Les premiers tests balistiques attestent d’un suicide par carabine, Jambert s’est vraisemblablement suicidé en se tirant une balle dans le crâne ; la douille est retrouvée à côté de son corps.
Suicide mais pour quelle raison ? On l’ignore tout à fait ! On raconte que le gendarme a subi beaucoup de pression à cause du dossier des disparues d’Auxerre, qu’il s’est senti incompris et rejeté par tous à cause de cela, qu’étant d’un naturel dépressif, il a fini par mettre fin à ses jours. La thèse de l’assassinat, elle, n’est pas non plus écartée, et des personnes comme Pierre Monnoir y croient. L’affaire est restée non-élucidée et accentue davantage le mystère.
Avec la disparition du gendarme Jambert, figure emblématique de l’enquête, Pierre Monnoir décide de reprendre les rênes des investigations. Avec son association, ils demandent l’aide et l’intervention des plus hautes instances parisiennes afin d’obtenir gain de cause.
Ces dernières acceptent de reprendre le dossier et nomment un magistrat, le juge Benoît Lewandowski, à la charge de l’instruction. Mais comment relancer une affaire déjà vieille de 20 ans, sans preuves et sans cadavres ?
Les choses s’annoncent d’emblée très compliquées ! Tout d’abord, il y a le rapport préliminaire de Christian Jambert qui s’est perdu dans le palais de justice et qu’on n’a pas retrouvé, ensuite beaucoup de brigades ont rechigné à prendre part aux investigations. Pour mettre le holà d’entrée de jeu, le juge Lewandowski décide de confier à deux gendarmes la lourde tâche de reprendre l’enquête à zéro.
Et ce n’est pas une mince affaire ! Rebelote, retour à Rouvray, à Villefargeau, dans tous les villages où ont vécu les disparues. Les gendarmes fouillent partout, les bois, les cours d’eau, les puits, interrogent d’anciennes connaissances des disparues, ont même recours à des sourciers et des mediums. Résultat des courses : rien, encore une fois !
Pendant ce temps, Emile Louis vit paisiblement à Draguignan. Mais quand ils apprennent que l’enquête est réouverte sous l’autorité d’un nouveau juge, les journalistes retrouvent sa trace et vont l’interroger. C’est d’ailleurs Stéphane Munka de « Perdu de Vue » qui s’y rend le premier.
Et là, loin de tomber sur un dangereux criminel, il est en face d’un petit grand-père vivant dans une modeste HLM, un peu grognon, un peu grincheux mais sans méchanceté, qui l’invite à prendre un verre dans sa cuisine. Munka en est presque attendri sur le moment tellement l’homme à l’air inoffensif ! Et il n’est pas le seul d’ailleurs, beaucoup de ses collègues tombent aussi dans le panneau !
« Allez chercher du côté de la mafia d’Auxerre ! Moi, je n’avouerai pas des crimes que je n’ai pas commis ! Je n’ai aucune raison d’avoir tué ces pauvres filles, elles étaient assez malheureuses comme ça ! Le sort s’acharne sur moi ! » se plaint Emile Louis.
Ce qui est sûr, c’est qu’il a de la répartie, soutient imperturbablement le regard des journalistes et répond à leurs questions sans hésiter.
Stephane Munka décide alors de le « brosser dans le sens du poil », il le questionne sur son enfance, ses origines, son parcours. Et là, le vieillard commence à se livrer dans une forme de confessionnal, s’apitoie sur son sort, sanglote, raconte un terrible épisode qui date de 1944 quand ses sœurs ont eu le crâne rasé sur la place publique par des résistants et qu’il a brûlé la grange d’un de leurs bourreaux pour venger leur honneur !
Et puis, la suite de sa vie est rythmée par de nombreux séjours dans des maisons de redressement, il se marie deux fois, a quatre enfants, et collectionne les petits boulots pour subvenir aux besoins de sa famille. D’après lui, tout ce qu’il a toujours fait, c’est pour éviter à ses enfants d’avoir la même enfance que lui.
En 2000, trois ans après le début de la nouvelle enquête, ni la police, ni le juge, ni les enquêteurs n’arrivent à avoir le moindre nouvel élément. Il reste qu’ils sont tous pertinemment convaincus de la culpabilité d’Emile Louis, mais malheureusement n’ont aucune preuve concrète pour l’envoyer devant les assises.
Pire, si rien ne se passe dans les prochains mois, le dossier risque d’être classé une deuxième fois, comme en 1981 dans l’affaire Sylviane Lesage. Le seul recours qui reste alors au juge Lewandowski est de donner son feu vert pour une interpellation en urgence d’Emile Louis dans l’espoir de le faire avouer.
Début décembre 2000, les gendarmes se rendent chez lui à Draguignan et l’emmènent dans leurs locaux pour un interrogatoire. Contre toute attente, ils montent un coup qu’ils espèrent voir aboutir : pour le faire avouer, on lui annonce que « l’affaire des disparues de l’Yonne » remonte maintenant à plus de quinze ans, qu’elle est donc assez ancienne pour être prescrite et que même s’il avoue tout maintenant, il ne risque rien ; à la fin de son interrogatoire, coupable ou pas, il pourra rentrer tranquillement chez lui.
Mais Emile Louis, loin d’être crédule, demande à voir d’abord l’article de la prescription, inscrit noir sur blanc dans le Code pénal. Les gendarmes le lui montrent et que se dit-il à ce moment-là ?
« C’est bon ! Je pense que je peux y aller. »
Sans hésiter une seule seconde, il lâche tout, avoue les sept meurtres. Il dit cependant ne pas se souvenir des circonstances dans lesquelles se sont déroulés les assassinats.
« Une bestiole m’a poussé à tuer ! »
Tout ce dont il se souvient, c’est qu’avant d’assassiner les filles, il les emmène toujours dans son coin de pêche préféré à Villefargeau, couche avec elles puis les tue.
Parfois sa mémoire lui fait défaut, alors faute de donner des noms, il donne des descriptions physiques, qui permettent aux enquêteurs de mettre un visage sur les photos des disparues. Loin de s’arrêter et avec la précision d’un GPS, il donne des signalisations routières : telle route, tel chemin de traverse, tel raccourci, allant même jusqu’à montrer le lieu où il a enterré les corps sur une carte géographique de l’Yonne !
Source : lejdc
Les gendarmes n’en croient pas leurs yeux, ils jubilent presque ! Il aura fallu plus de 23 ans pour venir à bout de cette énigme et voilà que ce retraité vient tout avouer d’une traite !
Le lendemain, on conduit Emile Louis à l’endroit indiqué. Sans aucune difficulté, il désigne les sept emplacements où sont enterrés les corps des filles. Les trois jours de recherches qui suivent aboutissent à quelque chose : on retrouve un squelette presque intact, une paire de lunettes, des restes de vêtements, un sac, et des paires de chaussures, enterrés à 1 m de profondeur.
Le 14 décembre 2000, sur ordre du juge Benoît Lewandowski, Emile Louis est transféré au palais de justice d’Auxerre. On lui désigne un avocat, maître Alain Thuaut. Ce dernier comprend rapidement que son client est persuadé d’être relâché, croyant naïvement à la thèse de la prescription avancée par les gendarmes ! Emile Louis est écroué le soir même.
Les chefs d’accusation qu’on retient contre lui sont : meurtre au premier degré, dissimulation de cadavres, torture, séquestration, attouchements sexuels sur des mineurs, viols, coups et blessures sur sa deuxième femme Chantal Paradis qu’il a épousée en 1992 et la fille de cette dernière, Karine, viols à répétition de sa propre fille, Marilyne Louis, qui témoigne contre lui à la barre.
Il est condamné une première fois en mars 2004 à 20 ans de prison avant de voir sa peine reconvertie en réclusion criminelle à perpétuité le 25 novembre de la même année. Dans la salle, c’est presque l’euphorie à l’annonce du verdict. Même l’avocat de la défense et le jury en sont satisfaits, tant l’affaire les a bouleversés !
Dans son box, encadré par deux policiers, Emile Louis, 70 ans, ne réagit pas, ne dit pas un seul mot. Il quitte le tribunal, tête baissée, mains menottées, en bleu de travail comme il a l’habitude de se présenter et monte dans le fourgon de la police.
Pierre Monnoir, qui a assisté à toutes les audiences, a du mal à dissimuler son émotion : « Nous avons gagné cette bataille ! Justice a été rendue aux familles ! »
L’affaire des « Disparues d’Auxerre » s’achève ainsi, après une enquête longue, éprouvante, décourageante, faite dans des conditions insolites et dans un climat étouffant, incarné par le silence des institutions.
Grâce à l’intuition de ceux qui ont refusé d’abandonner avant de rendre justice aux disparues, ceux-là même qui ont vite pressenti le danger là où d’autres ne le voyait pas, que cela soit le gendarme Jambert, emporté avant l’épilogue de cette affaire qui l’a tant fait souffrir de son vivant, ou encore Pierre Monnoir, qui depuis, a fait de la cause des handicapés mentaux son combat quotidien, la justice a pu enfin clore ce dossier.
Emile Louis, « le boucher de l’Yonne », est décédé de mort naturelle en 2013 à l’âge de 79 ans.
Quant aux membres des familles des disparues, venus au grand complet lors des procès, ils savent à présent que leurs filles, sœurs, cousines peuvent enfin reposer en paix.
Dans un contexte historique pas si lointain de notre époque actuelle mais pourtant si différent, une époque où le handicap mental était considéré comme une malédiction qu’il fallait dissimuler à la société, une époque où ces mêmes personnes malades étaient à la merci de ceux qui étaient censés être leurs protecteurs, l’affaire des disparues de l’Yonne aura l’effet d’une bombe car elle secouera ce qui, d’habitude, relève du tabou et du non-dit. Une histoire qui fait encore grincer des dents !
Les sources :
- LES MEURTRES NON RÉSOLUS LES PLUS MYSTÉRIEUX (3/8) : LES DISPARUES DE L’YONNE
- Emile Louis
- Christian Jambert
- Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales de l’Yonne
- Lanceur d’alerte : Pierre Monnoir, un simple citoyen au cœur de l’affaire des disparues de l’Yonne
- Emile Louis: les disparues de l’Yonne
- Perdu de vue
- Une chronologie de l’affaire des disparues de l’Yonne
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