Mais l’improbable se produit quand, le 4 décembre 1872, l’équipage du Dei Gratia repère le Mary Celeste zigzagant tout seul aux larges des Açores. On lui fait des signaux, pas de réponse ; on monte à son bord, il est désert, une table de dîner est encore dressée, tout est à sa place et donne l’impression que les occupants ont quitté précipitamment les lieux !
Source : ligurianautica
À partir de ce moment, toutes les spéculations et les hypothèses vont être permises : l’équipage du Mary Celeste s’est entretué, l’eau a attaqué les cales, la cargaison d’alcool a libéré des gaz toxiques, ou encore une pieuvre géante les aurait tous englouti et emporté dans les profondeurs…
Je vous invite à découvrir ou à redécouvrir avec moi l’histoire du Mary Celeste qui, entre réalité et fiction, continue d’alimenter la légende des bateaux fantômes. Avec l’expansion du commerce extérieur engagé par l’avènement de la révolution industrielle en Angleterre, la deuxième partie du XIXe siècle marque un véritable tournant dans les échanges entra-maritimes.
Dans l’océan Atlantique mais aussi en Méditerranée, la Grande-Bretagne et les États-Unis se taillent la part belle puisque les deux nations n’ont cessé de réaliser de grandes avancées dans le domaine.
De nouveaux navires plus rapides, plus solides et plus performants voient le jour, générant une compétition féroce entre les deux nations qui dominent à présent les deux tiers des mers du globe. Mis à part l’aspect mercantile, une nouvelle façon de voyager commence aussi à voir le jour, facilitée par la diversité de la nouvelle flotte.
Les voyageurs se déplacent de plus en plus par le biais des vapeurs, des paquebots ou encore des goélettes et des Baltimore Clipper, sorte de voiliers très répandu aux États-Unis et dans le littoral des Caraïbes. Les traversées entre le continent européen et le Nouveau Monde n’ont jamais été aussi rapides.
Une traversée classique, qui prend d’habitude un mois ou deux, se retrouve ainsi réduite à deux semaines parfois même moins quand les conditions du vent sont adéquates. Pourtant, malgré l’avancée, le domaine maritime n’est pas encore exempt de ses vieux démons : une maladie contagieuse qui se déclare soudain à bord, une tempête incontrôlable, une mutinerie et tout un projet est réduit à néant, des mois et des mois de travail partis en fumée.
Mais parfois, il ne suffit pas d’une épidémie, d’une bagarre ou d’un naufrage pour anéantir une traversée. Parfois, des choses bien plus étranges peuvent également se produire. Les marins du monde entier ont d’ailleurs tous leur lot d’anecdotes effrayantes sur le sujet.
Dans la colonie britannique de Gibraltar, les habitants se souviennent encore d’une retentissante affaire survenue entre l’année 1872 et 1873, quand le capitaine David Morehouse et son second Olivier Deveau, tous deux aux commandes du brigantin Dei Gratia, ont été transféré devant la justice pour une mystérieuse affaire d’équipage disparu en mer.
L’affaire a tenu en haleine pendant des mois les Anglais, les Américains et les Italiens des deux côtés de l’océan. L’équipage disparu était celui d’un autre brigantin, voyageant pendant la même période que le Dei Gratia : le Mary Celeste. Un capitaine, quatre officiers, quatre stewards et tout autant de marins, sans oublier l’enfant et la femme du capitaine, tous comme volatilisés.
Tous disparus sans laisser de trace. Pourtant, bien avant d’atterrir dans les dossiers du tribunal maritime, l’histoire du Mary Celeste a commencé sous les meilleures auspices un 7 novembre 1872. Ma chère mère, Nous nous apprêtons à quitter le port de Staten Island. Comme vous le devez savoir sûrement, Sarah et Matilda sont arrivées de Boston et sont enchantées tout autant que moi de prendre la mer. L’équipage est quant à lui composé d’hommes solides et pacifistes, bien sous tous rapports dont beaucoup m’ont été recommandés par John Winchester lui-même. J’ai donc la conscience sereine à ce propos. À présent, notre vaisseau est en parfaite condition et j’espère que nous aurons une belle traversée. Dans l’attente de vous revoir. Votre fils qui vous aime, Capitaine Benjamin Briggs Le 6 novembre 1872.
Assis dans son bureau, le capitaine Briggs relit à haute voix sa lettre avant de la plier et la cacheter avec de la cire brûlante. Cet échange épistolaire avec sa mère revêt à présent toute son importance puisqu’il va s’absenter pour un long moment. La prochaine missive, il la lui enverra depuis l’Italie, dernière étape de son voyage.
À l’étage, l’épouse du capitaine est en train de faire l’inventaire des dernières choses qu’elle devra emporter avec elle. Par moment, elle jette un regard plein de tendresse à sa petite Sophia Matilda, endormie comme un ange dans son petit couffin. Pourvu que son bébé ne souffre pas du mal de mer, supplie intérieurement Sarah Briggs en joignant ses mains.
L’autre enfant du couple, Arthur, n’est pas du voyage car il est en pension. Le capitaine Briggs, étant intransigeant sur l’éducation, juge qu’une absence trop prolongée lui fasse prendre du retard sur ses cours. « Heureusement que je vais pouvoir emporter le piano ! » Dit tout haut Sarah Briggs, oubliant les heures de négociation que cela lui a coûté pour convaincre son obstiné de mari d’emporter avec eux l’instrument qui trône dans le salon. Il a fini par donner son accord car elle avait déjà commencé à verser quelques larmes.
Dans cette famille protestante et rigoriste, la coquetterie et les dépenses folles pour des choses jugées inutiles ne sont pas permises. Le piano a été offert à Sarah Briggs par l’une de ses grands-mères en guise de cadeau de noces, une futilité que son mari n’aurait jamais songé à acheter. Pour les vêtements, c’est une autre paire de manche : le capitaine a horreur des femmes artificielles et constamment devant leur miroir.
Faire une traversée de près de trois semaines en plein Atlantique, c’est autre chose que d’aller au bal, alors Sarah Briggs a été tenue de se limiter à quatre toilettes de rechange, un coupe-vent, de grosses écharpes en laine ainsi que de simples chapeaux. Elle aura tout le temps de se faire belle à leur retour. À 19 h 00, le couple Briggs et le second capitaine Albert G. Richardon (également du voyage) s’installent tous les trois pour dîner.
Le repas se passe dans la légèreté d’esprit qui précède chaque voyage à l’étranger. À la fin du dîner, Sarah Briggs, en bonne maîtresse de maison, montre ses talents de musicienne en jouant une partition de Beethoven. — Bravo, Madame Briggs, quel talent ! — Je m’entraîne sur l’orgue de l’église depuis déjà toute petite ! — Vous êtes épatante ! Mais tous les trois ne pensent plus qu’au départ du lendemain matin.
Il faut dire qu’après des semaines interminables d’attente, tout le monde se languissait presque, tous redoutaient que le voyage ne soit annulé à la dernière minute. Madame Briggs a même prié avec ferveur pour que la météo soit estivale en plein automne newyorkais.
Son mari, qui a des préoccupations beaucoup plus pratiques, a davantage craint que certains des membres de l’équipage (qu’il avait si soigneusement trié sur le volet) ne finissent par jeter l’éponge avant le début de l’aventure. Il faut se rendre à l’évidence, par les temps qui courent, trouver de bons marins qui ne se saoulent pas, ne se bagarrent pas et ne chapardent pas n’est pas une mince affaire. Briggs en a choisi huit sur une liste de quarante.
Certains lui ont été recommandés par d’autres capitaines de navires, les stewards par le biais de lettres de recommandation truffées de toutes leurs compétences et leur expérience en matière de navigation. Le départ du Mary Celeste, prévu normalement deux semaines auparavant, a été retardé à cause de conditions climatiques peu clémentes qui empêchaient toute sortie en mer.
Le capitaine Briggs a quitté Boston en premier le 20 octobre 1872, il a préféré venir lui-même à New York pour superviser la cargaison qui lui a été confiée pour être acheminée jusqu’au port de Gênes en Italie : 1 701 tonneaux d’alcool pur qui devront être arrimés dans les cales du bateau et transportés pour le compte de la compagnie Meissner Ackermann and Corporation.
Une cargaison qui vaut de l’or, d’autant plus précieuse que tout le monde sait que le transport d’alcool peut parfois être dangereux à cause des vapeurs volatiles susceptibles de s’échapper à tout moment, lorsqu’on sait qu’à cette époque, il n’existe pas encore de système de réfrigération ou de climatisation.
Pendant le chargement de sa précieuse cargaison, le capitaine a assisté à toute l’opération de A à Z. Mais pendant le chargement des cales, l’un des canots de sauvetage s’est détaché accidentellement du cordage pour venir s’échouer sur une caisse contenant plusieurs bouteilles.
Le capitaine Briggs, bien que rationnel, a tressailli : si d’habitude il est rationnel, il est tout d’abord marin et sait qu’un canot brisé est signe de mauvais augure. Pas le temps de le remplacer cependant, tant pis.
De l’autre côté du port, Briggs, encore un peu ébranlé par l’incident, remarque qu’un autre vaisseau est au mouillage. Il s’agit du brigantin canadien Dei Gratia qui prend la mer juste après le sien. Le Dei Gratia, est lui aussi chargé d’une importante cargaison tout aussi coûteuse : des tonneaux d’huile de baleine, de rhum, de whisky et des peaux de phoques attendus dans plusieurs ports méditerranéens.
Le capitaine du Dei Gratia, l’Écossais David Morehouse et son second, le Québécois Olivier Deveau, viennent tous les deux à la rencontre du capitaine Briggs. Il apprend que le Dei Gratia lèvera l’ancre le 11 novembre pour se rendre à Gibraltar pour ensuite continuer son voyage dans les ports de Marseille, de la Sicile et enfin à Malte. Agé de trente-sept ans, originaire du Massachussetts, le capitaine Briggs est tout d’abord un marin chevronné et respectable, avec pas moins de dix années de navigation intensive à son actif.
Il a sillonné presque tous les littoraux du monde, de l’Europe à l’Asie, de l’Afrique au Groenland, de la Mer du Japon jusqu’en Australie. Lui-même fils d’officier de la marine marchande, il a décidé de prolonger la tradition familiale, espérant que son fils aîné Arthur reprenne le flambeau une fois le moment venu.
En bon pratiquant rigoriste, le capitaine Briggs ne boit jamais et ne joue jamais au poker, jeu pourtant très prisé parmi les hommes de son milieu. Il est décrit par tous ceux qui l’ont rencontré à cette époque comme un homme portant une barbe à la « Abraham Lincoln », au tempérament un peu rude, strict mais également juste et équitable.
Source : historycollection
Cette traversée de l’Atlantique revêt une certaine importance pour lui. Le bateau racheté il y a quatre ans de cela par la firme d’armurerie Winchester a plusieurs fois changé de propriétaires et de noms.
À présent, James Winchester et Benjamin Briggs sont devenus associés, le capitaine possédant un tiers des actions du navire ; c’est donc la première fois qu’il conduit quelque chose qu’il lui appartient au sens propre.
Au terme d’une longue conversation, les capitaines Briggs et Morehouse se mettent d’accord pour se retrouver au littoral des Açores afin de faire la route ensemble jusqu’à Gibraltar, cette partie étant principalement connue pour ses courants d’eau particulièrement forts et imprévisibles et une aide extérieure est toujours la bienvenue.
Le 5 novembre, le Mary Celeste, quitte le quai de Staten Island pour s’avancer dans le port de New York. Mais les conditions météorologiques, toujours peu clémentes, retardent le voyage de deux jours et font encore pousser des soupirs d’impatience à Sarah Briggs et aux membres de l’équipage.
Le capitaine est un homme expérimenté et prudent ; il déclare à ce propos qu’il vaut mieux perdre du temps et partir dans de bonnes conditions plutôt que laisser l’inverse se produire. Le second Richardson approuve cette décision. Les deux hommes se connaissent à peine depuis quelques semaines mais savent d’emblée que leur bonne entente et leur complémentarité seront inscrites dans la durée.
Le capitaine et son second, le plus important binôme d’une traversée réussie. Finalement, dans la matinée du 7 novembre 1872, un soleil peu habituel pour la saison se dresse dans un ciel tout bleu, signe que c’est le moment ou jamais.
Apparemment, les prières de Madame Briggs ont été entendues. « Larguez les amarres, on met les voiles ! » Déclare le second, Albert G. Richardon, tout raide et fier dans son uniforme noir orné de galons. Une petite foule s’est amassée dans le port pour assister au départ du Mary Celeste, c’est toujours un événement grandiose le départ d’un bateau.
Des femmes endimanchées agitent des mouchoirs aux membres de l’équipage tandis que des hommes agitent leurs chapeaux en direction de Madame Briggs et son bébé. Pour ces Américains qui n’ont encore jamais quitté leur pays, le Vieux Continent revêt plus les attraits d’une terre lointaine et inconnue plutôt qu’une terre d’appartenance.
De New York, le capitaine Briggs met le cap vers l’Est. Le brigantin s’avance lentement mais sûrement dans l’eau puis s’éloigne jusqu’à n’être plus qu’un tout petit point noir sur l’horizon. L’aventure peut alors commencer ! À bord, les choses commencent à s’organiser pour le bon déroulement du voyage.
Debout sur le pont principal, le capitaine Briggs et Albert Richardson supervisent les opérations. Outre les deux hommes, il y a là aussi l’adjoint-chef, Andrew Gilling, âgé d’une vingtaine d’années, le steward Edward William Head, à peine marié et qui vient de quitter sa jeune épouse à regret. Du côté des marins, la sélection est exclusivement étrangère, ils constituent ce qu’on appelle dans le jargon de la marine américaine de cette époque les « Dutchmen ».
Il y a les frères suédois Volkert et Boz Lorenzen et les Allemands Arian Martens et Gottlieb Goodschaad, tous les quatre forts de plusieurs années d’expérience dans la Mer du Nord et décrits comme des marins pacifistes, solides et de première classe.
Sarah Briggs, unique femme du voyage, s’est installée avec son bébé dans sa cabine. Son piano en bois de rose a réussi à entrer dans l’espace exigu de l’habitacle. Elle commence à défaire ses malles et à ranger ses affaires. Le soir venu, elle joue encore un air de Beethoven et un cantique religieux.
Les premiers jours de la traversée se passent sans problèmes, grâce notamment à des conditions climatiques idéales et peu habituelles pour la saison. Chaque membre de l’équipage effectue sa tâche avec beaucoup de rigueur. Le capitaine n’est jamais loin, toujours derrière tout le monde et jamais avare de ses bons conseils.
La frénésie de l’activité journalière laisse place chaque soir à la musique jouée par Sarah, présente pour égayer l’atmosphère. Avant d’aller se coucher, généralement vers 23 h 00, le capitaine prend soin de consigner ses notes dans son journal de bord où il fait état du déroulement de la journée, des conditions climatiques, des difficultés rencontrées.
Rien ne doit manquer jusqu’au moindre détail. Dans son carnet, il écrit : Deux des Les choses commencent à se compliquer au bout du dixième jour du voyage, quand le Mary Celeste est frappé de plein fouet par une violente tempête. Une lutte acharnée commence alors contre les forces de la nature et l’équipage.
Le bateau est malmené par les vents pendant dix jours d’affilée, sans laisser aucune trêve aux marins qui se démènent au-delà de leurs forces pour lui faire garder le cap. Durant tout ce temps, Sarah Briggs n’a pas quitté sa cabine, en proie à un terrible mal de mer.
Depuis plusieurs nuits déjà, elle fait toujours le même rêve étrange : l’eau envahit les cabines et emporte tout sur son passage. Rêve prémonitoire ou simple hallucination ? Elle a d’ailleurs lu dans un ouvrage que les sentiments des gens changent quand ils sont en plein océan, des choses qu’ils n’ont pas l’habitude de craindre deviennent une obsession, même la vue est parfois altérée, ce n’est donc pas étonnant que cet Ulysse ait entendu le chant des sirènes alors qu’il approchait des côtes grecques !
Le temps finit quand même par se stabiliser au onzième jour de la traversée et avec lui les esprits de plus en plus échauffés de tout le monde. La grisaille a laissé place à un beau soleil éclatant dans un ciel uniformément bleu et dégagé qui a achevé de rendre le sourire à Sarah Briggs et des couleurs sur son pâle visage. La routine des premiers jours se réinstalle.
Le 25 novembre 1872, Le capitaine Briggs ne manque pas de noter d’ailleurs à ce propos : Températures agréables après dix jours de lutte contre les aléas climatiques. Nous ne sommes plus qu’à six miles des côtes portugaises. Personne ne le sait encore, mais il s’agit de la dernière information consignée par Benjamin Briggs.
À partir ce moment, tout ce qui va se dérouler relèvera plus du surnaturel que de la réalité. Il est exactement treize heures de l’après-midi ce 4 décembre 1872 quand le timonier du Dei Gratia s’écrie du haut de son poste de commande : « Voile À l’horizon ! Voile À l’horizon ! » Nous sommes à ce moment de notre récit à bord de l’autre brigantin, le Dei Gratia qui, rappelez-vous, a fait son voyage seulement quatre jours après le départ du Mary Celeste du port de New York.
À présent, le navire se trouve à mi-chemin entre le détroit des Açores et les côtes portugaises. Les deux capitaines Morehouse et Briggs avaient même convenu de se retrouver à cet emplacement pour effectuer le restant de la route ensemble jusqu’au détroit de Gibraltar.
Pendant des jours, Morehouse a attendu en vain des signaux du Mary Celeste qui ne sont jamais venus. Peut-être qu’il a finalement décidé de changer d’itinéraire, cela peut arriver, bien que le seul chemin empruntable soit celui sur lequel ils se sont mis d’accord avant le départ. Alerté par les cris du timonier, le second capitaine Olivier Deveau se dépêche d’en informer le capitaine Morehouse qui monte à son tour sur le pont.
Muni d’une longue-vue, il tente tant bien que mal d’identifier le vaisseau mais n’arrive pas à lire son nom. Ce dernier semble vaquer tout seul, sans commandes et effectuant des zigzags inhabituels, plusieurs voiles manquent et ses mâts sont positionnés dans le sens contraire du vent. « Il faut aller vérifier cela et vite ! » Déclare le capitaine sur un ton grave.
Olivier Deveau, son adjoint John Wright et un autre marin nommé Austin Johnson, montent illico à bord d’une chaloupe pour partir en éclaireurs. Pendant ce temps, le Dei Gratia commence à envoyer des signaux au navire perdu sans parvenir à recevoir de réponse.
Source : eyler.eksisozluk
Quand les trois marins arrivent enfin à côté du vaisseau, ils remarquent qu’un silence morbide règne à bord. Sur la poupe, le nom du navire est peint en lettres italiques noires. Mary Celeste. « Hé ho ! Capitaine Briggs ! Monsieur Richardson ! Hé ho ! Capitaine Briggs, vous m’entendez ? » Pas de réponse.
Les trois hommes commencent à redouter sérieusement ce qu’ils vont découvrir. Sont-ils tous morts ? À cette époque, les épidémies de fièvre sont légion et se propagent à une vitesse hallucinante, surtout à bord des navires où des marins atteints de maladies et d’infections diverses sont engagés sans que leur réel état de santé ne soit tenu en compte.
Les trois hommes du Dei Gratia décident alors de se séparer pour fouiller le bateau de fond en comble. La première chose qu’ils remarquent sont les voiles en mauvais état et les cordages qui pendent des deux côtés. Olivier Deveau voit que l’écoutille principale a été verrouillée et que deux autres sont laissées ouvertes. « Regardez, M. Deveau, il n’y a pas de canot de sauvetage ! Vous trouvez cela normal vous ?! » Effectivement, l’embarcation avait disparu.
Normalement, il devait y en avoir deux mais la première, on s’en souvient, a été écrasée par un tonneau dans le port de New York et elle n’a été remplacée, faute de temps. Olivier Deveau, de plus en plus inquiet, inspecte le poste de commande où le compas a été brisé. Il se penche légèrement et remarque qu’une longue corde retombe sur la proue.
Mais que fait-elle là, ce n’est pas son emplacement ! « Monsieur Deveau, il y a des traces de sang à tribord ! » Effectivement, quatre traces noirâtres bien distinctes maculent l’endroit. Après en avoir fini avec l’inspection du pont, Deveau descend dans la cale du vaisseau.
Là, près d’un mètre d’eau inonde l’habitacle et lui monte jusqu’à mi-jambe. Mais pour un bateau de cette masse, cela ne compte pas vraiment, autrement il n’aurait pas tenu le coup jusqu’ici. John Wright découvre à son tour le livre de bord avec la note écrite de la main du capitaine Briggs et datée du 25 novembre 1872 à huit heures.
Températures agréables après dix jours de lutte contre les aléas climatiques. Nous ne sommes plus qu’à six miles des côtes portugaises. Mais cette note date déjà de neuf jours ! Les informations indiquent aussi que le Mary Celeste était à soixante-quatorze kilomètres au sud-ouest de l’endroit où le Dei Gratia est amarré en ce moment, c’est-à-dire non loin de l’île de Santa Maria dans les Açores.
Austin Johnson descend vérifier à son tour la cuisine et constate qu’elle est bien rangée, que tous les ustensiles sont à leur place et qu’il y a même quatre couverts dressés, probablement pour le dîner. Dans le cellier, les provisions sont abondantes et rien ne semble vandalisé ou détérioré. Bien sûr, pas de bouteille d’alcool, puisque le capitaine avait formellement interdit sa consommation à tout l’équipage bien avant d’entamer le voyage.
Pourtant, le spectacle le plus étrange se trouve dans les cabines. Un spectacle qui plonge les trois marins dans la perplexité et l’effroi. Dans la cabine de Sarah Briggs, il y a çà et là une multitude d’objets personnels, argent mais également robes et bijoux éparpillés par terre.
Ils trouvent une dague, probablement celle du capitaine Briggs cachée à l’intérieur de son fourreau. Tout au fond de la cabine, un berceau, celui de la petite Matilda, qui se contrebalance tout seul dans un craquement de bois. Évidemment le bébé n’y est pas, n’y est plus.
En fouillant dans le coffre du capitaine Briggs, Olivier Deveau remarque que tous les documents du navire, notamment le manifeste de navigation et le cahier de chargement ainsi que tous les instruments de navigation, ont disparu. De retour sur le Dei Gratia, les trois marins font le constat de tout ce qu’ils ont trouvé comme objets à bord du navire abandonné.
Pas âme qui vive, pas de chaloupe, tous les documents disparus. Mais que s’est-il passé ? Le capitaine Morehouse est perplexe et inquiet, il sait que Benjamin Briggs n’est pas homme à déserter de cette façon, il connaît son sang-froid, sa capacité d’endurance et ses nerfs solides.
Mais alors, que veut dire tout cela ?
— Ils ont en probablement eu assez et sont allés faire un petit tour. L’île de Santa Maria n’est pas loin ! Risque un mousse un peu distrait.
— John, épargnez-nous vos âneries ou vous serez renvoyé dès notre arrivée à Gibraltar ! Tempête Morehouse. L’atmosphère à bord du Dei Gratia commence à devenir électrique, certains marins commencent à faire l’inventaire de ce qui pourrait être récupéré sur le navire déserté.
Des paris sont mêmes organisés, c’est aussi cela la vie à bord des navires. Chez ces marins souvent mal payés, l’instinct de survie prévaut avant toute chose. Olivier Deveau, une mine grave de circonstance sur le visage, prend à part le capitaine Morehouse et lui murmure :
— Que faut-il faire à présent, capitaine ?
— Eh, que faut-il faire ? Ai-je vraiment le choix ? Il ne nous reste plus qu’à ramener le bateau jusqu’à Gibraltar, c’est tout. Je vous charge de sa navigation, prenez deux autres hommes avec vous. Tiens, Mr Wright et ce Johnson feront l’affaire !
— À vos ordres, mon capitaine. Les deux hommes se jettent un regard entendu.
Chacun sait ce que l’autre pense déjà. Selon le droit maritime, un sauveteur peut bénéficier d’une part substantielle de la valeur et du navire et de la cargaison qu’il contient. Ici, il est question de 1 701 tonneaux d’alcool pur, très prisé sur le marché italien et valant autant que de l’or.
C’est une affaire juteuse qu’il ne faut pas louper, une chose considérable de se faire un peu d’argent supplémentaire. Aussitôt dit, aussitôt fait. Les marins du Dei Gratia se répartissent entre les deux vaisseaux, Olivier Deveau, John Wright et Austin Johnson dans le Mary Celeste, David Morehouse et le reste des hommes dans le Dei Gratia.
Le Dei Gratia arrive en premier à Gibraltar le 12 décembre 1872, suivi le lendemain par le Mary Celeste qu’un banc de brouillard a immobilisé pendant la traversée du détroit. Dans la colonie britannique, tout le monde est sur les dents.
Un télégramme a été envoyé avertissant de la disparition inexpliquée de l’équipage du Mary Celeste aux larges des Açores et sa prise en charge par l’équipage de l’autre navire. Dès son arrivée, le Mary Celeste est immédiatement saisi et mis sous scellés par le tribunal maritime.
L’équipage du Dei Gratia, avec à leur tête David Morehouse et Olivier Deveau, espèrent pouvoir en tirer quelque chose rapidement. Ils sont cependant déçus lorsqu’ils apprennent qu’ils sont attendus au tribunal pour témoigner sur le déroulement et les circonstances de la découverte du vaisseau abandonné.
C’est à ce moment que commencent ce qui sera connu comme les « audiences de Gibraltar » dans une atmosphère surchauffée et chargée d’électricité. La première audience s’ouvre donc le 17 décembre 1872. Dans la salle, déjà remplie de curieux et de badauds, siège le chef du gouvernement de Gibraltar, James Cochrane.
À ses côtés est assis le procureur-général, un Irlandais du nom de Frederick Solly-Flood, homme à face rouge, à perruque blanche et en toge noire. Pour lui, le scénario est déjà très clair : Morehouse et ses hommes ont attaqué le Mary Celeste pour s’emparer de la cargaison d’alcool.
C’est sa position et il ne compte pas en changer, sans même écouter les témoignages de ceux qui étaient présent ce jour-là. Frederick Solly-Flood est un magistrat détesté de tous. Les historiens parleront de lui par la suite sous ces termes : « Un homme dont l’arrogance et la pompe étaient inversement proportionnelles à son QI ». Quant à ceux qui ont eu le malheur de le côtoyer au tribunal par le passé, ils le décrivent comme intransigeant, obstiné et matraqueur.
— Capitaine Deveau Antoine Jean Olivier, officier second du brigantin canadien Dei Gratia est appelé à la barre !
Deveau s’avance d’un air assuré, le regard droit et jure sur la Bible de dire toute la vérité, rien que la vérité.
— Vous êtes l’un des premiers à avoir aperçu le Mary Celeste ?
— C’est exact. Notre dutchman, le timonier Willy Van Rheen, l’a aperçu avant moi car il était au poste d’observation.
— Qu’avez-vous remarqué de si particulier ce jour-là ?
— Le navire s’avançait en zigzagant dans l’eau, mats en contrevent, il était à dix kilomètres de distance du nôtre.
— Vous êtes monté sur une chaloupe pour partir en éclaireur ?
— C’est exact.
— C’est le capitaine Morehouse qui vous en a donné l’ordre ?
— Absolument. Olivier Deveau continue le récit de ce qui s’est passé, ce jour du 4 décembre 1872.
— Et donc vous pensez qu’un crime s’est déroulé à bord, c’est bien cela ? Demande Solly-Flood en braquant ses gros yeux bleus et froids sur le témoin.
— C’est bien cela, répond le capitaine Morehouse, questionné à son tour.
— Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion si hâtive ? Continue le procureur. — La présence de traces de sang sur le tribord du Mary Celeste ainsi qu’un coup de hache planté dans une partie du plancher.
Solly-Flood guette l’interrogé du regard. Morehouse ne se démonte pas le moins du monde. Quel toupet ! Il est maintenant quinze heures de l’après-midi. Cela fait bientôt cinq heures que l’équipage du Dei Gratia est interrogé. Ils sont tous là, même les mousses.
— Les cabines étaient sans dessus-dessous, il régnait un grand désordre dans l’habitacle, raconte à son tour l’adjoint John Wright.
— Les instruments de navigation et tous les documents avaient disparus, ajoute le marin Austin Johnson.
Au terme de cette première journée d’interrogatoires, la première audience est levée dans l’attente de l’examen approfondi du bateau. Nous sommes le 23 décembre 1872. Sur l’ordre du procureur Solly-Flood, le Mary Celeste fait l’objet d’un premier examen. Un plongeur italien, Ricardo Portunato, est engagé pour cette mission.
Quand il réapparaît enfin à la surface avec son équipement de scaphandrier, tout le tribunal maritime l’attend de pied ferme devant le port. Le constat ne se fait pas attendre. Le plongeur a détecté la présence d’entailles sur les deux côtés de la proue, causées vraisemblablement par un objet tranchant. Il ajoute que le navire n’a été victime d’aucune tempête et que la coque ne présente pas de traces de collision ou d’échouement.
Mais cela ne suffit pas au procureur, que la théorie de l’assassinat maquillé en sauvetage héroïque ne cesse d’obséder. Il requiert alors l’expertise des professionnels. Une semaine plus tard, un second examen est mené par des officiers de la marine royale britannique, la Royal Navy. Et là, d’autres choses apparaissent, notamment la présence d’entailles sur la proue ainsi qu’une profonde entaille de deux mètres sur le bastingage.
Ces dernières informations achèvent de convaincre Solly-Flood qu’il y a bien eu un acte criminel à bord dont les responsables ne sont plus les marins du Dei Gratia mais bien ceux du Mary Celeste, une bande de dutchmen qui n’ont pas pu supporter les restrictions d’alcool imposées par le capitaine Briggs et ont décidé de se servir eux-mêmes directement dans les tonneaux d’alcool. L’affaire prend alors une autre tournure.
Le 22 janvier 1873, il envoie son rapport du tribunal au Board of Trade de Londres, expliquant que les marins du Mary Celeste ont abusé de l’alcool qu’il y avait dans la cargaison, ont par la suite assassiné les officiers et la famille Briggs avant d’entailler la proue pour faire croire à une collision, et enfin quitter le vaisseau à bord du canot de sauvetage.
Oui, cela y ressemble. Les soupçons de Solly-Flood envers David Morehouse et son équipage restent cependant inchangés. Pour lui, ils dissimulent quelque chose, c’est sûr, sinon, comment être persuadé qu’un brigantin de la taille du Mary Celeste ait pu naviguer aussi loin sans capitaine et sans équipage ?!
Source : log.newspapers
Le 15 janvier 1873, soit deux mois après le début des audiences, James Winchester, le copropriétaire du Mary Celeste, arrive à Gibraltar pour récupérer son vaisseau. Interrogé à son tour, il raconte aux enquêteurs qu’il ignorait que le capitaine Briggs voyageait avec sa famille, que c’était un protestant rigoriste qui ne consommait pas d’alcool et était doté de grandes valeurs.
Il précise que sa conscience l’aurait empêché de quitter le vaisseau, même s’il coulait ; c’est connu, en droit maritime, un capitaine ne quitte jamais son bateau en difficulté, la dimension romanesque veut même qu’il y périsse.
En voyant arriver le richissime James Winchester, le procureur Solly-Flood, fidèle à ses méthodes peu orthodoxes, ne tourne pas longtemps autour du pot pour lui réclamer une caution de 270 000 dollars, une somme assez importante que Winchester refuse de payer tout net.
D’ailleurs pourquoi le devrait-il ? Le gouvernement de Gibraltar a gardé son navire sur ses eaux pendant huit semaines, rétorque le procureur très remonté, vous les Américains, vous vous croyez supérieurs à tout le monde ! Winchester hausse les épaules, ce qui a le don d’agacer son interlocuteur.
Il sera démontré par la suite que Solly-Flood cherchera même à l’accuser pendant un moment d’avoir engagé lui-même l’équipage du Mary Celeste pour liquider Benjamin Briggs et son entourage. Il fait d’ailleurs tellement de pression sur le tribunal maritime que ce dernier décide de retenir la théorie de la mutinerie.
Pourtant, cette dernière subit deux inversement de situation : Les traces de sang remarquées à tribord du Mary Celeste sont en fait des traces de rouille dues à l’humidité. Quant aux entailles sur la proue, relevées par le scaphandrier italien, elles ont pour leur part été causées par l’action de l’eau sur le bois du vaisseau, et non par un objet tranchant.
Au terme de cette ultime expertise, le tribunal maritime décide de classer le dossier « Mary Celeste » sans suite, les preuves n’étant ni suffisantes, ni assez claires pour accuser quelqu’un. Le procureur Solly-flood n’a donc d’autre choix que de libérer le Mary Celeste le 25 février 1873 afin que John Winchester puisse le rapatrier aux États-Unis.
En bon hommes d’affaires américain, Winchester ne compte pas perdre son temps plus que de raison. Un mois seulement après avoir quitté les eaux de Gibraltar, le Mary Celeste, rebaptisé entre-temps « Amazon », reprend du service avec un nouvel équipage à son bord et un nouveau capitaine, l’Américain George Blatchford.
Pendant cinq années d’affilée, soit entre 1873 et 1877, il entreprend plusieurs traversées, plus spécialement dans l’Océan Indien. Et maintenant, place aux théories car tout le monde doit se demander ce qui a bien pu arriver à ce fameux équipage du Mary Celeste. Eh bien, laissez-moi vous dire que les spéculations n’ont jamais faibli sur le sujet, que ça soit aux États-Unis ou en Grande-Bretagne.
Entre superstitions, témoignages de prétendus survivants et autres légendes, son histoire a mobilisé pendant longtemps les médias de l’époque. L’une de ces premières théories prétend qu’une trombe, sorte de phénomène naturel proche des tornades, aurait précipité de l’eau à l’intérieur du vaisseau.
Le capitaine Briggs, craignant qu’ils ne soient immergés, a décidé de prendre les devants en donnant l’ordre d’évacuer les lieux à bord de l’unique chaloupe. Une autre théorie tout aussi plausible dit que c’est plutôt un tremblement de terre maritime qui aurait surpris l’équipage dans son sommeil et les a fait déguerpir au plus vite possible, par crainte d’un raz-de-marée géant, ce qui explique peut-être les vêtements éparpillés par terre dans les cabines et le compas brisé.
Les magistrats du tribunal maritime de Gibraltar, avec à leur tête l’incorrigible Solly-Flood, ont avancé l’idée que James Winchester, en sa qualité de copropriétaire du Mary Celeste, aurait tout planifié bien avant le départ de ce dernier. Sous fond d’une fraude à l’assurance, il aurait cherché et sélectionné lui-même des assassins qui se sont fait enrôlés exprès à bord afin de tuer Briggs et ses officiers.
Pourtant, aucune compagnie d’assurance ne chercha à ouvrir une enquête sur le sujet. Une autre théorie préconise que le capitaine David Morehouse aurait tendu un piège au Mary Celeste, prétextant par exemple une difficulté afin de l’attirer et ensuite envoyer ses hommes pour l’attaquer, sous le commandement d’Olivier Deveau.
David Morehouse portera d’ailleurs toute sa vie ce préjudice, ce qui l’amènera à démissionner de ses fonctions trois après les audiences de Gibraltar. Certains pousseront l’idée jusqu’à dire que les capitaines Briggs et Morehouse auraient tous les deux organisé l’affaire pour ensuite se partager la récompense de la revente de la cargaison.
On raconte aussi que le Mary Celeste serait tombé entre les mains de corsaires marocains venus de la ville de Salé, réputée à cette époque pour son activité de piraterie entre le littoral méditerranéen et les côtes atlantiques du Portugal. Mais si cela est vrai, pourquoi les corsaires n’ont-ils pas songé à voler tout ce qu’il y avait dans le navire, car tous les objets étaient à leur place, y compris les objets de valeur, à savoir de la porcelaine fine et les bijoux de Sarah Briggs.
Dans un numéro du New Herald de 1906, un article raconte que la chaloupe disparue a finalement été retrouvée au large du Cap-Vert, sans équipage à son bord bien sûr. Cette même année, un steward néerlandais du nom d’Abel Fosdyck raconte qu’il est l’unique survivant du Mary Celeste.
La marine marchande américaine étant connue pour embaucher beaucoup d’Allemands et de Hollandais à cette époque, son témoignage retient l’attention pendant un moment. D’autant plus que ce Fosdyck semble connaître bien des détails sur le navire, des détails que seul un marin saurait.
Source : seyler.eksisozluk.
Selon lui, le Mary Celeste a percuté un banc marin, l’eau a commencé à entrer dans la cale. C’est là que le capitaine Briggs a ordonné l’évacuation immédiate. La suite est tout aussi classique et linéaire : la fuite en chaloupe, la dérive en haute mer pendant environ dix jours avant que la faim ne commence à tenailler sérieusement tout le monde jusqu’à les rendre fous ; certains ont même chercher à consommer la chair de leurs camarades morts de déshydratation.
Les survivants échoués dans l’eau ont été dévorés par des grands requins blancs. Lui, Abel Fosdyck, a fui de justesse, bien que sérieusement blessé à la jambe par l’énorme squale qui a même failli la lui emporter dans le feu de l’action. Fin de l’épopée.
Le récit spectaculaire d’Abel Fosdyck va être repris par plusieurs journaux et des journalistes chercheront même à entrer en contact avec lui, afin d’avoir plus de détails sur le sujet. Mais la légende héroïque prend fin lorsqu’il passe devant un comité d’experts maritimes qui n’auront aucun mal à relever plusieurs irrégularités dans son histoire.
L’une des plus flagrantes étant celle du nom du capitaine, Fosdyck l’appelait John Friggs alors qu’il s’appelait Benjamin Briggs. Il se trompe aussi sur le nombre des membres de l’équipage et semble avoir beaucoup de lacunes en matière de navigation.
Tout compte fait, Abel Fosdyck va se révéler être un imposteur de la pire espèce, qui espérait gagner quelque chose en racontant ce canular. L’une des dernières théories sur le sujet et probablement la plus terrifiante de toutes nous vient directement du Chamber Journal du 17 septembre 1904, où il est raconté que le Mary Celeste et son équipage ont été englouti par une pieuvre géante, une espèce qui peut facilement atteindre les quinze mètres de long.
Pendant des années, cette légende restera enchaînée à l’histoire du navire. À cette époque, beaucoup de navigateurs parlent de créatures sous-marines mystérieuses croisées lors de leurs voyages, le calamar ou la pieuvre géante viennent en tête de ce palmarès cryptozoologique. C’est là où la fiction finit par rejoindre la réalité.
Après plusieurs années de pourparlers, la récompense promise aux sauveteurs du Dei Gratia a été enfin établie à 1 700 livres pour David Morehouse, Olivier Deveau, John Wright et Austin Johnson, une somme qui équivaut à un cinquième du navire et son entière cargaison.
Le passage très remarqué de l’équipage du Dei Gratia au tribunal maritime, en 1872, a achevé d’entacher leur réputation à long terme. Pour la justice et l’opinion publique, Morehouse et ses hommes sont restés des suspects potentiels dans l’affaire. David Morehouse a fini par quitter ses fonctions trois ans après les faits, suivi par l’officier Deveau qui a préféré retourner au Québec auprès de son épouse.
On ignore s’il a été embauché par un autre navire par la suite. Depuis, le Mary Celeste avec son passé mouvementé et sa légende morbide est devenu un navire maudit qui génère la crainte, où peu de marins osent s’aventurer et s’enrôler. Il est également boudé dans le marché maritime. À la fin du XIXe siècle, le navire change dix-sept fois de propriétaire et tout autant de fois de nom, mais la malédiction semble le poursuivre. Il fait encore parler de lui, notamment dans les journaux à sensations.
Le commandant Edgar Tuthill le rachète en 1879 et effectue plusieurs traversées dans l’Océan Indien avant d’être retrouvé mort dans des circonstances mystérieuses. Les années suivantes, des pertes de marins, des morts mystérieuses et des incendies inexpliqués sont venus renforcer cette idée de vaisseau maudit.
Le Mary Celeste effectue son dernier voyage en 1908 avant de revenir dans les berges de Boston où, depuis, il a fini par pourrir sur les quais car plus personne n’en voulait. Il a rejoint le triste palmarès des vaisseaux fantômes, comme le « Hollandais Volant », le fameux « Flying Dutchman ».
L’océanographe américain Brian Hicks conclut à ce propos : « Il n’y a jamais eu d’explications claires sur aucun des scénarios avancés durant les audiences de Gibraltar par les hommes du Dei Gratia. C’est un mystère qui a tourmenté beaucoup de personnes, notamment les familles des marins disparus. Le Mary Celeste reste le symbole fort de cette légende qui dit que la mer ne révèle jamais ses secrets. »
Les sources :
- Au cœur de l’histoire: La traversée de la Mary Céleste et ses mystères (Franck Ferrand)
- La Marie Céleste, un bateau fantôme
- Mary Celeste
- La Mary Celeste
- Benjamin Briggs
- Dei Gratia (brigantin)
- 4 décembre 1872. Le jour où un navire fantôme surgit au milieu de l’Atlantique
- Mythes et complots | Le mystère de la Mary Celeste, le vaisseau fantôme
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