Ce matin-là, le Pays du Soleil Levant nage en plein cauchemar, faisant face à l’un des pires attentats perpétrés sur son sol depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Rapidement, les autorités vont commencer à soupçonner un groupuscule religieux très puissant, richissime, qui étend son influence hors des frontières du pays et bénéficiant de la protection des politiques : la secte Aum Shinrikyo ou Aum Vérité Suprême, dont le gourou charismatique, Chizuo Matsumoto, plus connu sous le nom de Shoko Asahara, a été élevé au rang de prophète de l’apocalypse par ses 10.000 disciples.
Source : danielconversano
L’attentat mortel aux conséquences dignes d’une guerre biochimique va déclencher une chasse aux sorcières contre Shoko Asahara et ses fidèles, mettant à nu des vérités dérangeantes que la population a toujours préféré passer sous silence, à cause de ce stoïcisme, de cette résignation et de cette peur du scandale si caractéristiques du peuple japonais.
Je vous propose de revenir avec moi sur l’époque et les lieux de cet événement qui a longtemps marqué les esprits et par la même occasion sur les dérives d’un homme qui, en sa qualité de gourou, s’est cru, à un moment donné, au-dessus de tout, de la loi, de la morale et de l’humanité elle-même.
Il est 07 h 00 du matin, ce lundi 20 mars 1995. À la station de métro de Chiyoda, de nombreux usagers sont déjà là. Demain, la plupart seront en congé car c’est un jour férié qui coïncide avec le début des festivités de Sakura, la très vénérée Fête des Cerisiers, symbole du début du printemps au Japon et devant durer au moins trois semaines.
De ce fait, beaucoup d’employés ont aussi préféré « faire le pont », en prenant d’emblée un jour de congé de plus, chose d’habitude infaisable, mais il faut dire que ces festivités sont sacrées aux yeux de tous, toutes générations confondues. D’ailleurs, même les patrons ne s’y opposent pas.
Ceux qui ont préféré aller travailler sont là, alignés sur les quais, attaché-case et sacs à main dans les bras, tirés à quatre épingles, attendant patiemment leur navette qui doit arriver dans cinq minutes. Justement, voilà l’engin qui arrive. Aujourd’hui, pas de bousculades, tout se passe de manière très fluide.
Les employés de bureau prennent place dans les voitures, les portes se referment sur eux et le métro, dans un fracas métallique, s’engage aussitôt sur le trajet pour rejoindre la station suivante, celle de Manourochi.
Ensuite, la navette poursuivra son itinéraire jusqu’à la station de Kasumigaseki avec une halte à Nagatacho, pour finalement s’arrêter à Hibiya, le terminus, en plein centre du quartier des affaires de Tokyo. C’est là que descendront la plupart des passagers car c’est ici que se trouvent toutes les administrations : banques, sociétés et entreprises privées.
Ils sont neuf millions de voyageurs à transiter quotidiennement par cette gare principale, centre névralgique de Tokyo.
Mais pour l’instant, les travailleurs sont dans le wagon à destination de Manourochi. le voyage se poursuit et le silence règne dans l’habitacle. Certains passagers profitent de ces quelques instants de répit pour récupérer quelques minutes de sommeil volé ; les plus alertes quant à eux, consultent leur agenda du jour ou relisent des messages dans leur télétexte ou sur leur téléphone. Le métro marque un deuxième arrêt à la station de Kasumigaseki, où d’autres usagers, un peu plus nombreux, se présentent et montent en s’agglutinant à l’intérieur. Clac ! Les portes se referment une nouvelle fois et le trajet reprend.
Quand soudain …
C’est d’abord une forte odeur âcre qui surprend les passagers et réveille ceux à moitié endormis, une odeur proche de celle de l’eau de Javel. Ils croient d’abord à des pulvérisations d’antiseptique, mais ce n’est pas le cas. Cette odeur ne ressemble à aucune autre …
En quelques secondes, elle envahit tout l’espace, devenant de plus en plus nauséabonde, insoutenable. Vite, on sort les kleenex pour se boucher le nez, la bouche, les yeux, mais rien n’y fait.
Quelques personnes commencent déjà à se sentir mal, d’autres sont prises de maux de tête soudains et violents, d’autres encore commencent à avoir mal au cœur et se mettent la main sur la bouche pour arrêter le flux de la nausée qui menace. À l’intérieur des rames, l’air commence à manquer, tous les passagers suffoquent et toussent, saisis de spasmes prolongés et épouvantables.
Quelques-uns essaient d’appeler du secours mais les contrôleurs semblent avoir complètement disparu ! Un vent de panique commence alors à gagner les usagers qui réussissent, tant bien que mal, à déclencher le système d’alarme.
Dans la rame A725K, c’est carrément l’hécatombe : les passagers commencent à s’affaisser et s’effondrent par terre les uns après les autres, beaucoup suffoquent et les cols de chemise et les cravates serrés n’arrangent rien à leur calvaire, ils n’ont même plus la force de se déboutonner !
Dans la rame voisine, plusieurs femmes se sont évanouies, et à présent elles gisent, mortes, sur le sol. Ils sont pris au piège dans ce métro qui continue sur sa lancée, direction le terminus d’Hibiya.
Sur le sol de chaque rame, un étrange liquide commence à s’étaler, incolore comme de l’eau ; personne ne le remarque encore et dans la panique générale, on marche même dedans.
Les issues de secours sont bouchées et à présent, il n’y a plus une seule molécule d’oxygène dans l’air. Dans les hauts parleurs, la voix à peine perceptible d’un responsable de wagon se fait faiblement entendre, donnant l’ordre d’évacuer les lieux immédiatement.
L’arrivée à Hibiya est chaotique. À peine les portes du métro sont-elles entrouvertes que ceux qui ont encore la force de se précipiter dehors passent sur les corps des autres passagers, étendus par terre et inanimés. C’est bien connu, dans ces moments, l’instinct de survie devient plus fort et surpasse tous les autres.
En quelques instants, les quais du terminus d’Hibiya se transforment en une véritable scène d’apocalypse. Des bruits de sirène d’ambulance retentissant de loin redonnent pourtant un peu d’espoir aux sinistrés encore conscients, un espoir malheureusement de courte durée, comme le raconte cette employée de bureau :
« Une fois dehors, j’ai regardé autour de moi et ce que j’ai vu était pire que tous mes cauchemars : trois hommes en costume-cravate étaient par terre, livides, visiblement étranglés par leur langue… Un contrôleur qui, ce matin encore, s’était incliné devant moi pour me dire bonjour, est mort sur mes genoux, ses yeux décollés de leurs orbites ; il avait avalé sa langue, lui aussi… Sur la moitié de la rue c’était l’enfer, mais de l’autre côté, les gens continuaient d’aller à leur travail de la façon la plus naturelle du monde, comme si nous étions dans deux mondes parallèles. J’ai attendu plus d’une heure et demie qu’on vienne me secourir, qu’on vienne me donner ne serait-ce qu’un peu d’eau, mais personne n’est venu… Alors, avec le peu d’énergie qui me restait, je suis allée à pied jusqu’à mon bureau, plus morte que vive. On ne nous a même pas commandé de taxi ni demandé de nos nouvelles par la suite… »
Le choc émotionnel l’avait prise au dépourvu. L’origine et les dégâts encore inconnus de la catastrophe font que ni les policiers, ni les pompiers, ni les ambulanciers ne savent où donner de la tête. Un manque de coordination entre les différentes équipes de secours se révèle rapidement et retarde l’intervention encore davantage. Certaines ambulances, déjà en route pour Hibiya, sont alertées en cours de route pour faire demi-tour et se diriger préférentiellement vers la station de Kasumigaseki, où vraisemblablement, les cas graves ne cessent d’augmenter.
Est-ce un incendie, un court-circuit, un accident de rail ? Impensable dans un pays où chaque recoin du réseau de transport urbain est inspecté, récuré, désinfecté minutieusement avant le début de chaque journée de travail ! Inconcevable dans un pays où l’on prend les devants, où l’on devine la faille et où on la répare, bien avant qu’elle ne provoque des effets indésirables ou des dysfonctionnements. Inimaginable dans un pays qui ne laisse jamais rien au hasard, surtout pas quand c’est en rapport avec la sécurité de la population active, dont la rentabilité au travail est aussi importante que l’unité de la nation elle-même. Impensable oui, mais pas impossible !
On recherche un coupable invisible infiltré dans les wagons, faisant des ravages, et que personne n’a le pouvoir d’arrêter, sinon celui de se dépêcher pour sauver ce qui reste encore à sauver.
C’est alors que des rumeurs, telles que “attaque terroriste” ou encore “attentat anti-gouvernemental” commencent à fuser de toutes parts. Alertée, la presse accourt à son tour sur les lieux du drame ; les caméras diffusent les images sur les chaînes nationales, qui ont d’ores et déjà interrompu leur programmation pour se focaliser sur la catastrophe en cours.
Les sirènes des ambulances continuent à résonner jusqu’à la tombée de la nuit ; les pompiers, les policiers et les forces spéciales sont déployées autour des différents quartiers de Hibiya. Toute la ville de Tokyo est sur le pied de guerre.
Le lendemain matin, son dévoilés les premiers constats et ils sont dramatiques : on dénombre treize morts et six mille trois cents personnes dans un état très grave, aussi bien parmi les passagers que parmi le personnel du métro. Depuis la veille, les victimes ont été acheminées dans les cent-soixante-neuf hôpitaux de la ville, où la plupart d’entre eux sont tombés dans le coma dès leur arrivée.
Source : scmp
Sur les chaînes nationales et bientôt même, à l’international, on parle du plus grave attentat perpétré sur le sol japonais depuis la Seconde Guerre mondiale, aussi dramatique que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.
Dans la foulée, le gouverneur de Tokyo, Suzuki Shunishi, annule toutes les festivités du printemps et déclare trois jours de deuil national, appelant la population à rester vigilante et à favoriser leur véhicule personnel pour les déplacement domestiques ou professionnels.
Le reste du transport urbain, notamment les trains navettes et les bus, est lui aussi momentanément suspendu, par crainte d’une nouvelle attaque aux conséquences similaires.
Pendant ce temps, les investigations se poursuivent dans les lignes de métro qui ont été touchées. Réuni en urgence, un comité scientifique gouvernemental permet enfin d’identifier la substance responsable de la catastrophe. Le liquide prélevé dans les différents wagons n’est autre que du gaz sarin, un poison puissant et volatile, incolore, et vingt-six fois plus mortel que l’arsenic ! En effet, il suffit d’une seule gouttelette tombée ou déposée sur la peau d’un être vivant pour que celui-ci meure, intoxiqué sur place.
L’emploi de ce poison remonte à l’époque du nazisme dans l’Allemagne du 3e Reich. Il est repris quelques décennies plus tard par le chef politique irakien Saddam Hussein, qui l’utilise à son tour contre l’armée iranienne, avant de le transformer en arme d’extermination massive contre la population kurde de son pays, lors de la tristement célèbre « Opération Anfal ».
Connaissant à présent la nature et la dangerosité du poison employé, l’enquête policière commence dans un climat de fin du monde.
Les stations de Chiyoda, Manourochi, Kasumigaseki, Nagatacho et Hibiya sont mises sous scellé. Les bandes des vidéo-surveillance sont passées au peigne fin.
À l’issue de ces recherches, les premières images de ceux qui pourraient être les responsables de cette catastrophe nationale commencent à apparaître. Dans chaque arrêt des cinq stations, six individus, en tenue de sport, portant des masques chirurgicaux, ont été aperçus déposant des sacs plastique et des paquets, qu’ils ont percé à l’aide d’une pointe de parapluie avant de prendre la fuite.
Cette histoire de gaz sarin n’est pas étrangère aux autorités japonaises, qui pensent d’ores et déjà avoir trouvé les coupables. À présent, il leur faut agir vite pour les arrêter et un seul nom leur vient en tête : la secte Aum Shinrikyo, plus communément appelée « Aum Vérité Suprême », précédemment accusée d’avoir déjà fabriqué des bombes artisanales, des pesticides et autres substances toxiques.
En effet, deux ans auparavant, soit en novembre 1993, dans un village à l’ouest de Tokyo, la police japonaise se souvient avoir prélevé des résidus chimiques à côté de bâtiments privés appartenant tous à Aum Shinrikyo.
Les semaines suivantes, elle a plusieurs fois été recontactée par des voisins de ces entrepôts, se plaignant de la présence quasi-permanente de vapeurs blanches et d’odeurs pestilentielles provenant des locaux de la secte. Selon eux, ces vapeurs les rendaient malades et plusieurs ont ressenti des symptômes tels que de violents maux de tête et des palpitations cardiaques, les mêmes manifestations éprouvées par les passagers du métro.
Interrogés, les scientifiques de Aum Shinrikyo affirment solennellement et d’une seule voix qu’ils n’ont rien fait de mal. Selon eux, ces résidus toxiques ne rentrent que dans le processus de fabrication des engrais et des pesticides qu’ils ont l’habitude de développer et de commercialiser à des sociétés agricoles. Les bénéfices qui en découlent contribuent d’ailleurs aux dépenses collectives de leur communauté religieuse.
Rien que ça !
Les recherches ne sont pas poussées plus loin et aucun des membres de Aum ne fait l’objet d’une enquête judiciaire. D’ailleurs qui le pourrait ? Au moindre pépin, la secte a pour habitude de brandir sa légitimité en tant que structure spirituelle reconnue par l’État et le gouvernement lui-même soutient que rien ni personne n’a le pouvoir de leur ôter ce titre. Sauf que depuis le drame du gaz sarin, cette légitimité commence pour la première fois à perdre de sa crédibilité et à prendre du plomb dans l’aile.
En outre, d’autres affaires sulfureuses, où le nom de Aum Shinrikyo revient plus d’une fois, ressortent dans l’actualité. Des affaires troubles et épineuses de fraude fiscale, de placements illégaux à l’étranger, d’usurpation de biens immobiliers sous la contrainte, de lavage de cerveau, d’assassinats et d’incitation au suicide…
Une semaine après l’attentat de Tokyo, deux mille cinq cents policiers, armés de pied en cap, le visage caché par des masques de protection, sont envoyés pour assiéger le quartier général de la secte à Kamikuishiki, un petit village paisible, situé à quelques kilomètres du Mont Fuji.
La presse est également du voyage avec toute une armada de cameramen, voulant à tout prix immortaliser le moment de l’arrestation de Shoko Asahara et de sa suite.
Sur place, la police prend d’assaut plusieurs bâtiments construits dans une architecture minimaliste, opaques et identiques, couvrant plusieurs hectares de terrain. L’endroit est tranquille, propre, bien entretenu, entouré de jardinières et de fontaines en bambou, un lieu qui respire la quiétude et invite à la méditation, malgré l’horreur qui règne dans ses tréfonds.
À l’intérieur des locaux, l’agitation est au rendez-vous. Les policiers sonnent une première fois mais personne ne leur répond. Dissimulé derrière une fenêtre, un responsable de la secte tente de les éloigner. S’adressant aux policiers avec une agressivité latente, il leur intime l’ordre de quitter les lieux sur le champ :
– Que voulez-vous ? Laissez-nous en paix !
– Nous avons un mandat de perquisition, nous devons fouiller l’ensemble des bâtiments et de tout ce qui relève de la propriété.
– Qui vous a donné ce mandat de perquisition ? Pour quelle raison voulez-vous mettre le nez dans nos affaires ?
– C’est un ordre gouvernemental.
– Nous n’avons rien à nous reprocher et il est hors de question que vous pénétriez ici ! Ceci est un lieu sacré ! Allez-vous-en !
Mais la police refuse de céder et livre bataille. Ordre est immédiatement donné de procéder aux fouilles. Très vite, ils tombent sur un vrai arsenal de destruction massive : de nombreux conteneurs de solvants sont saisis, ainsi que cinq tonnes de sarin et un stock important de toxine botulique et d’éthane ! Largement suffisant, selon les experts, pour tuer cinq millions de personnes en moins d’une heure… Manipuler du sarin n’est pas chose facile et sa fabrication nécessite des connaissances pointues en matière de chimie. Des connaissances que seul un scientifique est en mesure de connaître et de maîtriser.
Sur le toit, la police retrouve également un hélicoptère appartenant à la communauté, un ancien engin de fabrication soviétique, retapé et redevenu comme neuf. Ils constatent que le plein de carburant a été fait récemment, comme pour le tenir prêt en cas de fuite de dernière minute.
Allant de découvertes en découvertes, les policiers finissent par saisir sept cents millions de yen en espèces, ainsi que dix kilos de lingots d’or dans les coffres-forts.
Ils évacuent également une cinquantaine de personnes dans un état avancé de malnutrition et visiblement sous l’emprise de diverses drogues et psychotropes. Elles sont retrouvées étendues à même le sol, dans des chambres sans matelas et sans fenêtres. Beaucoup sont tellement sonnées qu’elles sont traînées comme des paquets jusque dans les voitures de police.
Les membres de la secte présents lors de la perquisition s’en prennent violemment aux policiers, menaçant de les renvoyer devant la cour martiale, de les faire arrêter pour effraction et violation d’une propriété privée.
Pour les enquêteurs, il faut trouver à présent la tête pensante, le père spirituel, celui par qui et autour de qui tourne toute cette entreprise religieuse immunisée et intouchable, mais il est introuvable.
Ce chef de file, ce prophète tout puissant, à qui ses disciples vouent un amour et un dévouement sans faille, s’appelle Shoko Asahara. C’est un homme d’une quarantaine d’années, continuellement vêtu des mêmes tenues traditionnelles en lin mauve, portant barbe et cheveux longs, presque aveugle. Il marche pieds nus pour être en contact avec les énergies terrestres, quand il n’est pas en pleine transe ou en lévitation, exercice dont il est passé maître, devenu un peu sa marque de fabrique.
Source : rtl
Shoko Asahara est décrit par ses disciples comme un homme bon, serein, discret et bienveillant, une sorte de père de substitution, qui a tout fait pour les protéger du monde extérieur quand ils étaient vulnérables, seuls, sans ressources, paumés ou à deux doigts de se suicider. À présent, c’est à eux qu’incombe la tâche ardue de le protéger de ses ennemis. Et ils sont nombreux.
Les bâtiments de la secte sont encerclés pendant les jours suivants et les déplacements de leurs résidents limités. Et toujours pas la moindre trace du mystérieux gourou que la police cherche partout, mais sans succès. Un mandat d’arrêt national est finalement lancé contre lui et sa tête est mise à prix. Asahara ne doit en aucun cas quitter le Japon et ordre est donné de surveiller les postes frontière !
Quelques jours plus tard, pour tranquilliser ses adeptes, le gourou donne de ses nouvelles par le biais d’une cassette vidéo enregistrée dans un lieu tenu secret. Assis en position du lotus, les mains jointes, les cheveux lâchés nonchalamment sur ses épaules, les yeux clos, Asahara déclare que la fin du monde est à présent toute proche.
Conscient d’être depuis longtemps sur écoute policière, il n’en dit pas plus et promet de revenir bientôt pour arranger les choses, tout en ordonnant à ses disciples de se tenir prêts à tout moment.
Bénéficiant pendant de longues années de l’appui et de la protection des politiques, devenu extrêmement riche grâce aux généreux dons d’argent versés par ses disciples, invité par de hautes personnalités religieuses en Asie et en Russie, Shoko Asahara aurait pu continuer tranquillement son parcours de prophète sans jamais avoir à se préoccuper de l’avenir ou de la question financière. Mais cette fois-ci, les choses ne se sont pas passées comme il l’avait prévu.
À présent pris au piège, Shoko Asahara récapitule ses chances de s’en tirer et elles sont minces. Fuir en Russie, où quelques 50 000 disciples l’attendraient à bras ouverts ? Possible, mais il risque de se faire moucharder par les services secrets. Alors, quelle autre solution peut se présenter ?
Dans un pays encore sous le choc des récents attentats, quelques voix timides commencent à s’élever, réclamant le renvoi des coupables devant la justice. Bientôt, de simples citoyens commencent aussi à faire preuve de leur mécontentement à l’égard de la police qui, malgré son efficacité, ne s’est jamais illustrée pour ses interventions rapides et immédiates reliées à cette affaire. Pourquoi ? Tout d’abord parce que le pays se targue d’avoir l’un des systèmes de sécurité les plus puissants au monde ; ensuite et surtout, parce que dans la culture japonaise, il n’est pas bon de se plaindre et d’étaler ses souffrances publiquement. Génération après génération, cette omerta collective est restée, solidement ancrée, une loi du silence approuvée par toutes les composantes de la société, qui cherche tout d’abord à éviter le scandale et le litige avant de punir le coupable pour son délit.
Un simple exemple : au Japon, un criminel peut bénéficier du pardon des proches de sa victime, qui préféreront largement étouffer l’affaire et la régler à l’amiable plutôt que de la voir exhibée dans les tribunaux et exposée aux yeux du public. Au Japon, une victime, peu importe le crime commis à son égard, est toujours considérée comme « un peu responsable » et cela impacte toute sa famille, à plus ou moins long terme.
C’est pour cette raison que le « bushido » (le code d’honneur), rentre d’emblée en jeu. Cette réputation a conservé une certaine mentalité patriarcale, qui persiste toujours et qui soutient cette idée saugrenue que « la victime l’a aussi cherché un peu » !
C’est dans ce même état d’esprit que certains rescapés de l’attentat du métro proclament déjà sur leur lit d’hôpital :
« Oh et puis finalement, je n’ai pas été aussi malade que ça ! »
« Oh et puis j’aurais pu retourner travailler dans l’après-midi, malgré tout ! »
Alors qu’en réalité, ils auraient pu mourir et qu’ils en étaient conscients. Mais le « bushido », l’honneur, toujours l’honneur, leur interdit de pointer du doigt un coupable, même connu, préférant presque partager sa culpabilité avec lui.
Profitant de cette résignation collective, Shoko Asahara et la secte Aum Shinrikyo sont passés à l’acte sans état d’âme, préméditant l’attentat deux ans à l’avance, n’hésitant pas à se livrer à de nombreux essais et expériences avant de déclencher la machine à tuer finale.
Pour la police, Shoko Asahara reste une énigme, un personnage tantôt réel, tantôt fictif, aussi dangereux que psychopathe.
Pourtant, son histoire et celle de sa secte ont commencé dans une conjoncture très différente, tellement banale, dans le simple trois pièces d’un appartement de Tokyo, où une modeste affiche publicitaire annonçait :
« Sensei Chizuo Matsumoto, professeur de yoga pour tous les niveaux. »
Shoko Asahara, de son vrai patronyme Chizuo Matsumoto, est né le 2 mars 1955 à Kyushu, petite île de la préfecture de Kumamoto dans le sud du Japon. Son père est un fabricant de tatamis, sa mère est femme au foyer. La famille compte quatorze enfants dont il est le huitième.
Le petit Chizuo est né avec une forme de myopie extrêmement grave qui le rend presque aveugle à partir de l’âge de trois ans. Son enfance se déroule modestement sur l’île. Mais son handicap l’empêche de nouer des amitiés et ses seuls compagnons de jeu sont ses frères et sœurs.
Sa scolarité se déroule dans une école locale pour enfants non-voyants. En 1977, il se rend à Tokyo où il projette de s’inscrire à l’université, mais il échoue à l’examen d’entrée. Cet échec, qu’il digère mal, le conduit pourtant à se tourner vers un autre cursus : l’acupuncture et la médecine ancestrale chinoise, qu’il étudie avec beaucoup de patience et d’intérêt. Dans le Japon de ces années-là, l’acupuncture est une discipline très populaire auprès des non-voyants issus des classes modestes, certains d’en faire un gagne-pain garanti pour plus tard.
En 1978, Chizuo épouse la jeune Tomoko Ishi qui devient Tomoko Matsumoto après son mariage. Tomoko donne naissance à une première fille, Reika, née en 1979, suivie par quatre autres enfants, nés successivement.
Chizuo, en sa qualité de chef de famille, est contraint de multiplier les emplois pour subvenir aux besoins de sa nombreuse progéniture. Souvent à cours d’argent mais jamais à court d’idées, il commence dès 1980 à commercialiser – sans licence – des filtres et des potions pour guérir de nombreuses pathologies, comme la dépression ou l’impuissance sexuelle chez les hommes.
Un business très florissant, qui lui rapporte rapidement 200 000 yen en quelques mois. Ses clients sont souvent des étudiants à l’université ou des fonctionnaires, qu’il accoste discrètement à la sortie des bureaux, des écoles et dans les rames de métro. Ses remèdes sont vendus sous le manteau et s’écoulent à une vitesse étonnante, le bouche à oreille aidant à le faire connaître.
Mais la police finit par découvrir ce commerce illégal et le condamne à deux mois de prison avec sursis. Chizuo Matsumoto profite de son séjour derrière les barreaux pour se procurer et étudier des livres en braille traitant du Taoïsme, de la médecine indienne traditionnelle et de l’astrologie. Il s’intéresse aussi aux religions monothéistes, particulièrement à l’Islam et au Judaïsme, dont il trouve qu’elles partagent beaucoup de points communs.
À sa sortie de prison, il reprend son emploi d’acupuncteur tout en commençant à prodiguer des services supplémentaires de voyance et d’exorcisme. À cette époque, il voue un intérêt particulier à l’ésotérisme bouddhiste et à la pratique d’une forme de yoga primitif, qu’il se met à exercer lui-même quotidiennement pour se protéger des énergies négatives.
L’idée de fonder un institut regroupant toutes ces disciplines commence à le tarauder dès 1982. Cependant, sans capitaux, pouvant à peine payer les dettes contractées auprès des magasins d’alimentation pour nourrir sa nombreuse progéniture, Chizuo Matsumoto passe ses nuits à méditer ce projet qui lui tient tant à cœur.
Il tente le tout pour le tout deux ans plus tard, en ouvrant une petite école de yoga dans un trois-pièces, perché au huitième étage d’un immeuble, dans un quartier tranquille de la périphérie de Tokyo. Il nomme son école « Aum Shinsen No Kai » et organise des portes ouvertes le 10 janvier 1984. Après un premier mois de vaches maigres, les premiers clients commencent à se manifester. Ils viennent de tous les horizons : médecins, avocats, professeurs, artistes, étudiants à l’université.
Pour se donner une aura particulière aux yeux de ses futurs élèves, Chizuo Matsumoto change d’identité, d’apparence vestimentaire et se fait désormais appeler Shoko Asahara.
Source : sputniknews
Chaque soir, après la sortie du travail, ses élèves se précipitent chez lui en quête de méditation et de relaxation, éreintés par la jungle urbaine, par les heures interminables au boulot et par leur train de vie à cent à l’heure.
Mais si cela pouvait se limiter à cela ! En fin observateur de la vie malgré sa cécité, Asahara détecte rapidement le mal qui ronge la plupart de ces personnes : la solitude et la misère sexuelle, maux ô combien tabous de la société japonaise moderne.
Hormis les cours de yoga, le futur gourou propose aussi des exercices pour apprendre à léviter ; d’ailleurs, il proclame léviter lui-même chaque jour avant son coucher.
Mis au défi, plusieurs élèves veulent aussi relever le challenge. Pendant des heures entières, ils sont donc contraints de méditer profondément pour parvenir à cet état second qui favorise l’élévation du sol. Résultat des courses : personne n’y parvient.
Fort de son subterfuge, Shoko Asahara veille à ne jamais léviter lui-même en public, prétextant ne faire cela que dans une stricte intimité, loin des regards curieux. La réalité, c’est qu’il est tout bonnement incapable de le faire. Mais la crédulité de son auditoire lui suffit. Du reste, il jouit d’une popularité de plus en plus grandissante.
En 1987, l’école de yoga « Aum Shinsen No Kai » cède la place à une structure religieuse appelé « Aum Shinrikyo », littéralement : éveil à l’univers et enseignement de la vérité suprême. C’est le socle fondateur de la secte en devenir.
Grâce à ce nouveau titre, l’organisation bénéficie automatiquement de l’exonération fiscale auprès de la ville de Tokyo. La machine infernale peut alors se déclencher.
Devenu le leader charismatique et ambitieux qu’il a toujours voulu être, l’ancien acupuncteur multiplie les abus. Dorénavant, les disciples sont appelés à lui verser d’importantes sommes d’argent pour être enrôlés en bonne et due forme.
Un marketing très rentable accompagne cette effervescence religieuse : des t-shirts, des objets de culte, des cassettes VHS à l’effigie de Shoko Asahara sont automatiquement imposés aux nouveaux arrivants dès leur inscription. Pour les moins fortunés, des kits englobant t-shirt, stylo et tapis de méditation sont même proposés à des tarifs défiant toute concurrence.
Désormais, on ne se contente plus de faire de simples mouvements de yoga, mais on vient aussi écouter la parole pleine de sagesse de Shoko Asahara, l’homme aveugle aux capacités vocales capables d’apaiser les cœurs.
La folie atteint des sommets au même titre que la mégalomanie du gourou : quelques millilitres de l’eau de son bain, des mèches de ses cheveux et mêmes des rognures de ses ongles sont vendues à prix d’or.
Dorénavant, il trône tous les jours sur des draps de soie blanche, assis en tailleur, vêtu d’un simple kimono de lin mauve, les cheveux longs relâchés sur ses épaules. Sa cécité revêt un aspect mystique et on lui prête de nombreux pouvoirs, comme guérir des maladies incurables et la dépression.
À la fin des années 80 la secte, de plus en plus puissante, regroupe à présent 10 000 membres au Japon et 40 000 en Russie, où les enseignements de Shoko Asahara séduisent et remportent beaucoup de succès. De ce fait, il est plusieurs fois l’invité de marque du gouvernement de Mikhaïl Gorbatchev, qui l’accueille avec les honneurs d’une personnalité politique. La secte multiplie les bureaux de liaison dans une Russie en plein déclin socio-économique, où la parole d’un saint homme venu de cet Orient tellement mystérieux, devient indispensable.
Au Japon, des films de propagande sont commercialisés montrant Shoko Asahara, vêtu d’un simple pagne enroulé autour de la taille, méditant dans les montagnes de l’Himalaya. Le Dalaï Lama lui-même lui voue de l’admiration et l’invite souvent au Palais du Potala. Il est plusieurs fois l’hôte des plateaux télé, notamment dans l’émission de divertissement « Fuun ! Takeshi-jo », célèbre dans le monde entier.
En 1989, Asahara projette de se présenter aux élections électorales. Fort de son succès désormais international, il fonde son parti politique reposant sur la prophétie de l’apocalypse toute proche. Ses adeptes se chargent de faire sa campagne électorale, à coups de films et de mangas de propagande, parlant de Nouvel Âge, de renaissance spirituelle, de fin du monde, appelant l’ensemble de la population à y adhérer pour son propre salut. Mais la campagne se révèle être un vrai fiasco et le parti est éliminé dès le 1er tour avec zéro siège au parlement japonais.
Qu’à cela ne tienne, Aum Shinrikyo continuera avec ou sans cette distinction politique. Certains reprochent à Shoko Asahara d’avoir misé un peu trop gros dans cette histoire de législatives. Il ne fait aucun commentaire mais rumine profondément cet échec. La secte se replie un peu plus sur elle-même, vivant dans une sorte d’autarcie en pleine jungle urbaine. Beaucoup d’adeptes sont désormais contraints d’abandonner leurs maisons respectives pour venir s’installer dans les bâtiments nouvellement acquis par la secte dans le village de Kamikuishiki, jouxtant le Mont Fuji. Diviser pour mieux régner, tel est le nouveau leitmotiv du gourou qui veut assujettir ses disciples au maximum pour en faire ses esclaves, obéissant au doigt et à l’œil à toutes ses folies.
Désormais, les châtiments physiques et psychologiques sont à l’honneur. Un adepte se montre un peu trop récalcitrant aux enseignements du gourou ? Qu’on l’enferme de force dans une minuscule pièce sombre face à un téléviseur allumé 24h/24h et diffusant un film de propagande ! L’adepte n’en sort que si Shoko Asahara le décide, c’est-à-dire au bout d’un jour, d’une semaine ou d’un mois !
L’ancien chef d’entreprise, Ryotaro Kamagashi se souvient :
« J’ai rejoint la secte avec ma femme et nos trois jeunes fils en 1989. Mes enfants étaient parfois turbulents, ce qui avait le don de l’exaspérer (Asahara), alors, il les punissait en les enfermant dans la cave une nuit entière. À cette époque, je ne voyais rien, je croyais qu’il agissait ainsi pour leur bien, que cela faisait partie de ses attributs de père spirituel … »
À cela s’ajoutent bientôt d’autres formes d’abus, comme cette fois où la mère vieillissante d’un adepte a refusé que son fils vende la maison où elle habitait afin de verser l’argent à la secte. Alors une nuit, trois hommes masqués envoyés par Shoko Asahara, se sont introduits chez elle avec un acte de donation qu’ils l’ont contrainte à signer, un revolver pointé sur sa tempe. La pauvre femme a fini par signer le précieux sésame avant d’être sauvagement exécutée.
Quelques parents d’adeptes commencent même à se plaindre auprès des autorités, les sommant d’intervenir auprès de la secte pour faire cesser cet engrenage, mais leurs demandes restent sans suite.
Les autorités japonaises préfèrent fermer les yeux, car « Aum Shinrikyo », en tant que corporation religieuse enregistrée, bénéficie de la protection légale contre les interférences de l’État. Depuis sa création, elle a toujours été contributrice des budgets politiques et l’argent qu’elle ne verse pas aux impôts, elle le reverse aux politiciens qui, en contre-partie, lui assure une sorte d’immunité.
Lâchées par la police, obligées de garder le silence pour ne pas sacrifier leur réputation, des familles entières d’adeptes, inquiètes de ne plus avoir de leurs nouvelles, prennent la décision d’engager l’avocat Tsutsumi Sakamoto pour interférer en leur nom. Mais le 4 novembre 1989, Sakamoto, sa femme et leur bébé sont retrouvés morts et démembrés dans leur résidence secondaire de Yamanashi.
Une enquête est ouverte et des membres de la secte sont soupçonnés, notamment un certain Matsumoto Tsuyoshi, jeune architecte de vingt-huit ans, connu pour être l’homme de main de Shoko Asahara. L’affaire est classée sans suite, renforçant de plus en plus le sentiment de toute-puissance de la structure.
Au début de l’année 1993, Shoko Asahara déclare vouloir accélérer l’apocalypse à coups d’attentats. Un soir, il réunit ses fidèles pour leur faire part de son projet macabre : assassiner en un temps record le maximum de citoyens tout en accordant le droit de vie à 10 % de la population. Il parle pour la première fois de guerre biochimique, de nettoyage, d’extermination massive, prenant en exemple les terribles chambres à gaz employés par les nazis durant la seconde guerre mondiale.
Sur cette lancée et pour pouvoir mener à bien son activité, la secte fait l’acquisition d’une ferme de 200 000 hectares en Australie, où elle implante secrètement des laboratoires de fabrication de gaz sarin. La substance toxique est largement testée sur des cheptels de moutons australiens, dont les carcasses sont retrouvées par des autochtones aborigènes qui alertent la police.
L’année suivante, l’ambassade australienne refuse d’octroyer des visas aux membres de « Aum Shinrikyo » qui demandent alors à se faire rembourser le prix du terrain et de la ferme achetés là-bas. Après un long bras de fer avec les autorités australiennes, la ferme est finalement revendue.
À ses adeptes scientifiques, Shoko Asahara donne les moyens de créer des laboratoires sur place, avec du matériel dernier cri et les dernières technologies à l’appui. En mai 1994, deux laboratoires spécialisés dans la fabrication du sarin voient le jour dans le village de Kamikuishiki.
À partir du mois de juin de la même année, la secte se met à réaliser les premiers « tests » du gaz sarin qu’elle vient de fabriquer. Pour ce faire, un premier attentat est commis dans le parking d’un supermarché de la province de Nagano, au nord du pays. Bilan : sept morts et deux cents blessés. Sur le parking, la police retrouve des traces de sarin, lâché par un camion.
Cet incident ne passe pas inaperçu. Des associations et des magistrats commencent à élever la voix, réclamant l’arrestation de Shoko Asahara et sa secte de criminels. Pourtant, même cette fois, la police n’intervient pas, prétextant le manque de preuves à leur encontre.
Mais le déclin commence aussi à guetter Aum Shinrikyo, car certains adeptes, jusqu’ici dévoués corps et âmes à leur gourou, manifestent le besoin de quitter la structure.
L’ancien disciple Ryotaro Kamagashi raconte :
« En 1991, j’ai liquidé mon entreprise de pièces automobiles et j’ai versé l’équivalent de 300 millions de yen à Shoko Asahara pour ses besoins personnels. Oui, c’est une somme énorme et j’ai honte d’en parler aujourd’hui, mais à l’époque, je pensais faire quelque chose d’exemplaire… Le déclic s’est produit quand l’un de mes enfants, alors âgé de dix ans, a été placé de force dans une baignoire d’eau bouillante en guise de punition. Son corps a été brûlé à 90 % … Ce jour-là, j’ai décidé de prendre ma famille et de quitter cet antre de l’horreur pour toujours ! »
Pendant des années, la famille Kamagashi fait l’objet d’un harcèlement agressif de la part d’autres adeptes, ce qui la conduit à déménager plus d’une vingtaine de fois avant de finalement fuir aux États-Unis.
Comme les Kamagashi, d’autres vont suivre le même chemin et quitter la secte. Shoko Asahara ne les retient pas, mais envoie ses sbires sur leurs traces afin de les intimider, de les faire chanter et de leur extorquer de l’argent. Poussés à bout, incapables de les dénoncer, réduits au silence, beaucoup finissent par se suicider pour échapper à cet enfer.
À l’approche des fêtes du printemps, qui rassemblent chaque année plusieurs millions de personnes dans tout le pays, la secte compte passer à l’acte, profitant de l’ambiance festive générale qui s’installe pour détourner l’attention de ses plans.
Tôt le matin du 20 mars 1995, six individus appartenant à « Aum Shinrikyo » sont envoyés dans les stations de métro de Chiyoda, Manourochi, Kasumigaseki, Nagatacho et Hibiya. La secte compte faire le plus possible de dommages humains. Elle cible particulièrement la gare de Kasumigaseki, en sa qualité de point de rencontre entre les différentes lignes et à cause de l’important flux de passagers qu’elle accueille chaque jour.
Vêtus de joggings, portant des masques chirurgicaux sur la figure comme la majorité des usagers en ces temps de grippe saisonnière, les six adeptes veulent se fondre dans la masse sans attirer l’attention de personne. Ils ont pour mission de déposer les paquets contenant le poison dès l’ouverture des portières, de les percer discrètement avec la pointe aiguisée d’un parapluie avant de prendre la fuite. Chaque sac plastique contient environ trois litres de sarin, de quoi générer une vraie catastrophe humaine.
Après les terribles événements qui ont secoué la ville de Tokyo lors de cette journée fatidique, de véritables investigations sont dirigées pour la première fois contre Asahara et sa secte. Caché pendant un mois et demi, il est finalement arrêté lors d’une opération commando, le 16 mai 1995.
Dans un premier temps, il nie tout, car selon lui, tout ce que la police a réussi à saisir dans les locaux ne servait en réalité qu’à fabriquer de la poterie et des engrais chimiques. Piètre système de défense. Asahara est accusé d’être le principal commanditaire de l’attaque mortelle dans le métro, puis d’autres chefs d’inculpation pèsent sur lui. Il se laisse finalement embarquer sans plus de résistance.
C’est l’attitude qu’il adoptera désormais pour le reste de ses sorties médiatiques et même lors de son procès : ne pipant mot, la même expression apathique sur le visage, soupirant et ricanant par moment.
Plusieurs de ses disciples sont arrêtés en même temps que lui. Au Japon, la nouvelle du démantèlement de la cellule criminelle de Aum Vérité Suprême crée une onde de choc sans précédent.
Le procès de Shoko Asahara débute en 1996. Placé en détention provisoire, il multiplie les demandes de révision de son dossier, sans succès.
En septembre 1999, la secte affirme pour la première fois être entièrement responsable des événements de l’attaque au sarin du 20 mars 1995, ainsi que celle perpétrée en juin 1994 dans un parking de supermarché.
Le procès très médiatisé de Shoko Asahara dure huit ans, au terme desquels il est condamné à la peine capitale en février 2004. Treize de ses disciples dont les six commanditaires de l’attentat du métro, à savoir : Tomomitsu Niimi, Kenichi Hirose, les frères Ikuo Hayashi et Yasuo Hayashi, Masato Yokoyama et Kintaro Toyoda, sont condamnés à mort en même temps que lui lors de cette audience, largement filmée et retransmise par les chaînes de télévision japonaise et étrangères.
Source : rtbf
Shoko Asahara reste dans les couloirs de la mort pendant encore quatorze ans. Il est exécuté par pendaison le 6 juillet 2018. Il avait soixante-trois ans.
Aum Vérité Suprême a continué de faire parler d’elle, même après l’arrestation de son chef. La secte a été mise sous surveillance policière pour une période de dix ans. Au début des années 2000, une attaque semblable aux événements du 20 mars 1995 a été évitée de justesse dans une gare ferroviaire de Hokkaidō.
Le journaliste d’investigation Haruki Murakami sort « Underground » en juin 2000. Le livre retrace les événements de l’attentat du métro de Tokyo minute par minute, rehaussé par les témoignages réels des victimes qui ont survécu et qui sont restées longtemps murées dans le silence. Parmi les 6 300 survivants de l’attaque au gaz sarin, beaucoup sont restés dans le coma ou handicapés à vie.
Plus qu’un simple hommage et devoir de mémoire, Murakami a cherché, à travers son ouvrage, à mettre la lumière sur les véritables maux qui rongent les différentes composantes de la société japonaise moderne, à savoir la solitude, le non-dit, l’individualisme et le matérialisme. Des critères devenus de véritables bombes à retardement dans un pays, passé en un laps de temps restreint, de structure familiale traditionnelle au culte de l’individu égocentrique et sans empathie pour les autres.
Le journaliste a surtout voulu rendre hommage à ces victimes qui selon lui, ont été injustement négligées par les médias japonais après l’attentat.
« J’ai voulu mettre un visage, un nom, une histoire sur chacune de ces personnes tellement ordinaires et qu’on a rangé dans une seule catégorie collective : celle de victimes. Pourtant, en se réveillant ce matin du 20 mars 1995 pour aller attraper leur métro, elles étaient comme vous et moi. Le danger n’est souvent jamais là où on le pense ! » Souligne Murakami.
Trois ans après l’exécution de Shoko Asahara, le Japon vit toujours dans le souvenir de l’attaque au gaz sarin. Certains redoutent que l’ancien gourou soit élevé au rang de martyr par des admirateurs secrets ou que la secte renaisse à nouveau, car beaucoup d’anciens adeptes de Aum Shinrikyo sont restés en liberté, éparpillés un peu partout dans le pays et vivant sous de fausses identités.
Des pays comme le Canada, les États-Unis ou encore l’Union Européenne l’ont placée parmi la liste des organisations terroristes les plus dangereuses du monde.
Dans l’attentat du gaz Sarinune, cinq lignes de métro sont touchées par une attaque mortelle au gaz sarin, le responsable, un groupuscule religieux plus connu sous le nom de Shoko Asahara…
Sources de l’épisode :
- Shoko Asahara
- Qui était Shoko Asahara le gourou fondateur de l’ex-secte Aum ?
- Attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo
- Aum Shinrikyô : secte et violence
- 1995, l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo
- La SECTE AUM : apocalypse et bioterrorisme
- Dans la valise des chercheurs : quand Murakami racontait le Japon à travers les attentats de 1995
- Japon L’ex-gourou de la secte Aum, condamné à mort pour l’attaque au gaz sarin, a été exécuté
- Underground (Murakami)
- Japon: nouvelles exécutions d’ex-membres de la meurtrière secte Aum